Depuis des siècles, la principale préoccupation des femmes et des hommes est de conquérir de nouvelles libertés, formelles et réelles. Ainsi se sont construits, dans les luttes, en quelques trop rares lieux du monde, démocraties et droits de l’homme. Droits politiques et droits sociaux.

Dans l’avenir, d’autres combats auront lieu pour généraliser ces libertés ; d’autres droits seront revendiqués et conquis : le droit à ne pas être connecté, le droit à la vie privée, le droit à mourir dans la dignité ; et même : le droit à n’avoir qu’un travail valorisant, le droit à avoir des enfants par une gestation externe, humaine ou artificielle, le droit à entretenir des relations simultanées avoir plusieurs adultes consentants, ou même, peut-être, celui de s’unir légalement, avec des clones, ou des avatars virtuels.

A l’inverse, certaines libertés ont été réduites, en particulier les libertés de faire ce qui peut nuire à autrui. Ainsi ont été remis en cause, par exemple, le droit d’exploiter ou de martyriser plus faible que soi, d’avoir des relations sexuelles avec des parents ou des enfants, de maltraiter des animaux. Au moins en théorie.

Dans l’avenir, d’autres libertés seront remises en cause ; des comportements, aujourd’hui considérés comme des manifestations de la liberté, seront dénoncés comme des crimes. Les libertés sont, là aussi, menacées.

D’abord, des comportements déjà prohibés dans de nombreux pays mais encore trop souvent tolérés, comme l’esclavage, la pédophilie, les violences faites aux femmes, aux enfants, aux animaux, le harcèlement au travail, seront enfin sérieusement et universellement condamnés et poursuivis. Le port d’arme, comme la peine de mort, seront peut-être aussi, un jour, même aux Etats-Unis, rangés au magasin des accessoires immoraux et inefficaces.

D’autres comportements seront interdits, d’autres libertés seront réduites.

D’abord au nom d’une morale : ainsi, toute action ressentie comme une atteinte à la dignité d’une minorité sera progressivement prohibée ; et on jugera à cet aulne non seulement les vivants mais les morts ; cela se traduira en particulier par la réécriture des livres d’Histoire et de chefs-d’œuvre de la littérature, par la mise au rebut d’innombrables œuvres d’art, pour leur contenu ou pour la conduite de leurs auteurs. Seront plus généralement criminalisés des comportements de séduction aujourd’hui bienvenus ou tolérés, parce que considérés dans l’avenir comme offensants, dégradants ou agressifs.

Ensuite on remettra en cause des libertés au nom de la sauvegarde de la santé de chacun : on interdira de manger du sucre ou du sel, de rester immobiles, de conduire des voitures individuelles, et bien d’autres choses.

Enfin, on remettra en cause d’autres libertés actuelles, au nom de la sauvegarde de la planète : on interdira, à juste titre, la consommation excessive de viande, d’eau douce, l’utilisation excessive de pesticides et d’engrais, l’achat compulsif de biens de consommation. Certains voudront même aller (ils le veulent déjà) jusqu’à interdire à l’humanité de se reproduire, pour protéger le reste des espèces vivantes des ravages provoqués par les irrépressibles besoins de liberté des humains.

Les technologies de prédiction de comportement, d’intelligence artificielle, de vidéo surveillance, d’analyse génétique, rendront ces interdictions plus faciles à mettre en œuvre. On en viendra, (ou plutôt on en reviendra, comme dans les plus anciennes dictatures) même peut-être à considérer la liberté individuelle comme l’exception et l’interdiction comme la norme, à désigner les droits humains comme des ennemis de la civilisation, et à faire l’apologie de la soumission.

Certaines de ces remises en cause extrêmes de la liberté seront nécessaires ; et il ne faudrait évidemment pas renoncer à interdire l’intolérable ; et en particulier, il ne faudrait pas cesser de protéger les plus faibles des conséquences d’une excessive liberté des plus forts.

Mais il ne faudra pas réduire à néant des libertés si chèrement acquises. Il faudra considérer les droits humains, tels que définis aujourd’hui, comme un acquis intangible de l’humanité.

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