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Les  propositions de certains candidats de droite à la primaire, et celles des candidats d’extrême droite, en matière d’immigration sont  de plus en plus dangereuses pour la démocratie. En proposant, par une surenchère folle, de retirer à certains étrangers  sinon à tous, certains de leurs droits actuels, sinon tous leurs droits, en matière de  RSA, de bourse, d’allocations familiales ou  logements, d’accès à la médecine et à l’éducation, ou même toute prestation sociale, avant une présence de cinq ans ou  six ans en France, et même de suspendre l’accès à l’Aide médicale d’urgence aux étrangers en situation irrégulière « sauf urgence vitale », on se demande si ces candidats ont les bases les plus élémentaires d’une éducation historique.  Et quand on voit les pires d’entre eux parler de retirer leurs cartes de séjour aux étrangers en situation régulière, ou même de retirer à certains d’entre eux la nationalité française (proposition honteuse, que certains à gauche n’ont pas hésité, dans un passé récent, à reprendre), on ne peut que les traiter de pyromanes, voire de criminels en puissance.

Car il y a un pays en Europe, qui a fait cela, déjà, il y a quelques décennies. Un pays  qui décida de retirer tous leurs droits à une certaine partie de ses habitants, étrangers, ou rendus étrangers en leur retirant leur nationalité. Un pays qui, ne trouvant aucun pays voulant accueillir ces gens,  craignant de les expulser de peur qu’ils entrainent leurs nouveaux pays d’accueil dans une attitude belliqueuse, refusant de laisser trainer dans les rues ces gens devenus des mendiants désespérés, pensa à les enfermer dans des villes qui leur seraient  réservées. Un pays qui,  réalisant l’impossibilité de les faire vivre ainsi en circuit fermé  sans contact avec le reste de la population du pays,  refusant explicitement, par exemple, qu’un citoyen «  sain »  aille chez un coiffeur d’une de ces villes fermées,  n’a  pas trouvé d’autre solution que d’en finir avec cette partie «  malsaine » de la population  en la  massacrant .

Ce pays, c’est évidemment l’Allemagne. Plus précisément c’est le résultat d’un conseil des ministres, (réuni le 9 novembre 1938, au lendemain de la nuit de Cristal, sous la présidence de Goering dans un bâtiment qui est aujourd’hui encore le ministère des finances de l’Allemagne réunifiée) :  après avoir évoqué, et écarté, toutes les hypothèses évoquées plus haut, ces ministres et hauts fonctionnaires, dont beaucoup venaient de l’administration antérieure au régime nazi, n’ont pas trouvé  d’autres solutions  que de glisser vers l’assassinat systématique de tous les juifs, puisque c’est d’eux qu’il s’agissait. C’est ainsi que fut décidé le principe de l’extermination de millions de gens. Cette décision, comme on sait, fut d’abord mise en œuvre par des exécutions individuelles massives, qui tuèrent une à une 1, 5 million de personnes ; avant que, trois ans plus tard, le 20 janvier 1942, une autre réunion, dans une charmante villa  des rives du lac Wannsee près de Berlin, ne décide d’accélérer cet anéantissement, en construisant des chambres à gaz,  pour  finir par exécuter encore trois fois plus   de ces malheureux.

Naturellement, dans la France d’aujourd’hui, aucun des partisans de ces mesures radicales, dans le parti républicain, n’imagine ni ne souhaite en venir à cette extrémité ; comme ne le souhaitaient sans doute pas certains ministres et hauts fonctionnaires réunis à Berlin en ce jour funeste ; c’est pourtant ce qui fut décidé. C’est d’ailleurs, accessoirement, ce qui commençait à se mettre en place, à partir de 1940, dans l’Algérie française, par ordre du seul gouvernement de Vichy, en dehors de toute présence allemande ; et qui ne fut interrompu que par le débarquement américain du 8 novembre 1942 (quatre ans jour pour jour après la réunion de Berlin)

Il est très urgent de remettre de la raison dans tout cela. Il est très urgent d’en appeler la droite républicaine à comprendre qu’il serait moralement, politiquement, socialement, internationalement, économiquement désastreux de  priver les étrangers de leurs droits actuels. C’est même  exactement le contraire qu’il faut faire : Il faut les intégrer au plus vite, leur apprendre au plus vite le français, attirer au plus vite un maximum de nouveaux talents étrangers, comme le font tant d’autres pays ;  et même de laisser travailler légalement tous les étrangers qui ne sont pas encore régularisés, en attendant qu’ils le soient, ou qu’ils soient dignement reconduits chez eux,  pour qu’ils ne soient pas obligés de basculer dans la délinquance,  faute d’autres moyens de survie. La France a tout à y gagner.

En politique, comme dans la vie privée, un peu de culture, d’éthique,  de  mémoire et de bon sens peuvent sauver de bien des malheurs.

j@attali.com