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Dans La vita e Bella, sorti en 1997, Roberto Benigni, raconte comment un homme tente de faire croire à son fils, enfermé avec lui dans un camp de concentration, que tout ce qu’ils vivent n’est qu’un  jeu et qu’il faut en rire. A la fin, l’enfant survit.

Sous le même titre (It’s a wonderful life) Franck Capra racontait en 1946 pourquoi un homme au bord de la faillite, interprété par James Stewart, aurait tort de se suicider puisque, s’il disparait, le sort de sa famille et des gens qu’il aime serait  épouvantable ; alors que s’il résiste au désespoir, il a tous les moyens en main, grâce aux gens qu’il a aidés, pour éviter la faillite et rendre heureux sa communauté.

Ces deux films n’ont pas en commun que  leur titre, au moins traduit en français (« la vie est belle ») ; ils ont aussi le même ressort dramatique : tout faire pour préparer au mieux l’avenir de ses enfants. Dans l’un, en leur cachant le pire. Dans l’autre, en visualisant assez le scenario du pire pour se révolter, et pour fonder sur l’altruisme une réponse efficace à l’adversité.

Aujourd’hui, nous sommes, comme chaque génération précédente, confrontés au même problème : que dire aux enfants, et aux adolescents, du monde qui les attend ? Doit-on leur affirmer  que le pire est vraisemblable, que le climat va se dégrader irréversiblement, que la biodiversité va disparaitre, que des milliards de gens vont migrer, que des armes terribles vont apparaitre, que les  communautés vont se dresser les unes contre les autres, sans qu’on ne puisse plus rien faire pour l’éviter, comme le croit  James Stewart? Ou, au contraire, va-t-on leur cacher tous les risques, leur  faire croire que tout va bien, que les indices de catastrophe auxquels les enfants ont accès par les médias ne sont que des incidents sans importance, comme tente le faire croire Roberto Benigni à son fils ?

Toutes les générations dans le passé ont été confrontées à ce dilemme . Et celles qui, au début du vingtième siècle, expliquaient à leurs enfants que le siècle à venir allait être  tout entier magnifique, (ce qui était vraisemblable)  ont conduit, par leur inaction, au pire siècle de l’histoire humaine, parce qu’ils n’avaient pas réussi à en prévoir les écueils.

Et aujourd’hui encore, l’optimisme béat et le pessimisme résigné sont inacceptables. Alors qu’existe une troisième voie, plus réaliste, plus pédagogique et plus utile.

Pour l’expliquer aux enfants, il faut commencer par expliquer que nous ne sommes pas devant un tsunami que rien n’arrêterait. Mais devant un enjeu énorme qui est encore à notre portée. Et pour cela, il faut commencer par prendre l’exemple du football ou d’un autre sport collectif pour leur expliquer que nous ne sommes pas comme les spectateurs d’un match, qui peuvent se contenter d’être pessimistes ou optimistes pour l’équipe qu’ils soutiennent.  Mais que nous sommes des joueurs du match de la vie. Et qu’un joueur optimiste, comme un joueur pessimiste, est certain de perdre, parce qu’il pense que le sort du match ne dépend pas de lui. Pour avoir une chance de gagner, il faut comprendre que le match n’est pas joué d’avance, étudier les forces et les faiblesses de son équipe et de l’équipe adverse. Puis, jouer le mieux possible.

De même, dans le monde réel, il  ne faut être ni pessimiste, ni optimiste. Il faut connaitre la réalité, et décider quoi faire pour l’orienter au mieux. Il faut donc ne rien cacher aux adolescents de l’évolution du climat, de la nature, des injustices, des violences, et de la capacité de l’être humain à faire le mal. Mais sans les désespérer en leur laissant croire que le match est déjà perdu, que les désastres sont irréversibles.  En  leur montrant à chaque étape ce qu’il convient de faire, pour  que les adultes  d’aujourd’hui, et plus tard  eux-mêmes, détournent  le cours de l’Histoire.  Et c’est bien le cas aujourd’hui : les tendances sont désastreuses, mais pas du tout irréversibles encore. Bien des choses sont encore possible. Bien des choses sont encore à imaginer, inventer, réunir pour inverser le cours de l’histoire. Et pour s’y adapter au mieux.

Devant ce diagnostic, certains d’entre ces jeunes en déduiront qu’il faut devenir ingénieur, pour  chercher des solutions technologiques ; d’autres penseront qu’il faut  faire de la politique, pour réorienter le cours des décisions qu’ils trouveraient insuffisantes  ; d’autres enfin en concluront  qu’il faut militer dans des associations, plus ou moins radicales, pour éveiller les consciences. Toutes ces  attitudes sont admissibles. Seule ne l’’est pas celle du spectateur béat devant la beauté du monde, ou paralysé  par les tempêtes  de l’histoire.

Comme dans le film de Benigni, on s’en sortira  mieux si on croit qu’une fin heureuse est encore  possible. Comme dans celui de Capra on réussira si on crée les conditions d’une action collective.

j@attali.com