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Imaginez une très belle salle de bal où des gens très gais, garçons et filles,  s’amusent,  dansent et vont se restaurer à un buffet magnifique ; la musique est très entrainante ; chacun  imagine des projets pour la fin de soirée, pour la nuit, pour les jours suivants, ou plus encore.

Un  des participants à cette soirée, avec l’esprit un peu plus  lucide que les autres,  remarque qu’il y a vraiment beaucoup  trop de monde dans la salle, dont certains grognent parce que les consommations sont trop coûteuses pour eux  ; qu’il n’y a qu’une seule sortie, très étroite,  au bout  d’un long couloir ; que toutes les fenêtres sont fermées, et qu’on ne voit pas du tout  comment les ouvrir ; que les lourds rideaux qui obstruent les ouvertures  voisinent avec d’énormes  chandeliers allumés, énormes, instables et menacés par les mouvements de la foule.  Il en déduit qu’un incendie peut se déclencher à chaque instant. Et que beaucoup de monde y périrait.

Cet  invité particulièrement lucide a alors plusieurs solutions:  1. Continuer à s’amuser  en pensant qu’après tout, il ne s’est jamais rien passé lors des soirées précédentes,  et qu’il il ne se passera rien ce soir-là  non plus.  2. Prudent, s’amuser et  danser près de la porte, en restant aux  aguets, prêt à partir à la première alerte.  3. S’en aller sans prévenir personne. 4. Prendre le micro,  demander le silence, décrire la situation et inviter tout le monde à sortir au plus vite,  au risque de provoquer une panique qui conduirait à la mort de beaucoup de gens  par piétinement  dans le  passage très étroit  ou  dans l’incendie qui suivrait le renversement des chandeliers sur  les rideaux. 5. Tenter de débloquer les fenêtres, de  créer de nouvelles ouvertures, seul ou avec d’autres, sans déclencher la panique.

Chacun voit bien d’abord que cette situation est une métaphore du monde d’aujourd’hui : La salle de bal  est la planète, où nous sommes condamnés à vivre jusqu’à la fin des générations, avec une abondance presque  infinie  pour certains, sans rien pour d’autres ; et avec, pour tous, d’innombrables menaces géopolitiques, sanitaires,  sociales, éthiques, politiques,  climatiques. Confrontés aux  mêmes cinq choix  énoncées plus haut, de l’action à la résignation, de l’égoïsme à l’altruisme.

Face  à cela, la plupart des gens refusent de voir ces dangers et continuent de vivre dans l’instant ;  d’autres décident de rester aux aguets, de jouir du monde,  ne se résignant pas à perdre  une miette des plaisirs du présent, tout en se préparant à partir s’isoler si nécessaire, si la catastrophe devient plus imminente.  D’autres  encore dévoilent  aux autres tous ces dangers, sans proposer de solutions crédibles, prenant le risque de déclencher, par leurs discours, une panique et un effondrement moral et spirituel général, suivis d’une crise économique, sociale et politique majeure. D’autres encore, pensant que tout est perdu, qu’on ne s’en sortira jamais,  décident de  fuir, d’aller vivre à la campagne, ou dans un lieu très protégé, ou projettent même d’aller sur une autre planète ou d’en finir avec la vie ; D’autres enfin imaginent des solutions concrètes à tous ces problèmes et mobilisent les autres pour les mettre en œuvre avec eux dans un délai raisonnable.

C’est aussi une métaphore de la situation de chacun de nos pays,  de nos entreprises, et de nos familles : Pensez à ces communautés comme à des salles de bal menacées et vous verrez que les choix qui s’ouvrent à chacune d’elles sont les mêmes que ceux des invités d’une soirée.  On ne sauve une communauté que si tous ses membres partagent une même analyse de ce qui la menace, et mettent en œuvre avec détermination  les  bonnes réponses.

La  panique et la fuite ne sont jamais des solutions. La résignation et le chacun pour soi le sont moins encore. C’est pourtant l’attitude la plus fréquente devant les menaces d’aujourd’hui. Les vrais bons dirigeants sont ceux qui sauront dire  toute la vérité à tous, sans pour autant déclencher de panique ou de désespoir. Et qui réussiront à associer chacun des  membres de  la communauté à la construction, aussi vite que possible, d’une  réponse durable à ces enjeux.

En particulier, c’est cela, et rien d’autre, qui devrait occuper les  six mois qui  séparent les Français de leur  prochaine élection présidentielle.

j@attali.com