Alors qu’approchent le 4 et le 14 juillet, l’une et l’autre symbolisant une révolution, et alors qu’on emploie ce mot aujourd’hui dans des contextes totalement différents, c’est peut-être l’occasion de réfléchir sur ce qui permet à une révolution de réussir et ce qui peut la faire déraper.
Le 4 juillet commémore le vote, en 1776, par 13 colonies anglaises en Amérique de la déclaration d’indépendance, écrite par Jefferson, après le vote secret et unanime (moins l’abstention des délégués de New York), deux jours avant, de la sécession des Etats-Unis par un « Congres continental », réuni à Philadelphie. Le 14 juillet renvoie à la prise de la Bastille, en 1789, qui n’est qu’une anecdote dans le processus révolutionnaire français proprement dit.
D’une certaine façon, la révolution américaine se termine le 4 juillet. La révolution française commence le 14 Juillet.
Plus généralement, une révolution, c’est d’abord et avant tout, le moment où une nouvelle élite réussit à se débarrasser d’une ancienne.
Ce fut le cas aux Etats-Unis en 1776 quand les Américains se sont débarrassés de leurs maitres britanniques, et qu’ils ont installés une république, sur des principes élaborés en Europe, et en particulier en France, par Montesquieu, Diderot, Voltaire et Rousseau.
Ce fut le cas en France en 1789 quand la bourgeoisie s’est débarrassée, joyeusement, de ses maitres, parfois consentants parce qu’ils sentaient qu’ils pouvaient y gagner eux-aussi de nouveaux privilèges, plus modernes ; comme lors de cette nuit du 4 aout, en général si mal comprise.
Une révolution commence donc toujours par ce qu’on nommerait aujourd’hui un « dégagisme », ou ce que je nommerai même un « populisme bourgeois » dans lequel une nouvelle élite se débarrasse de l’ancienne, sans pour autant remettre en cause la nature de la société.
Parfois, comme dans la société américaine, cette révolution suffit ; parce que le pays à autre chose à faire : une guerre pour survivre, une conquête territoriale pour asseoir son pouvoir.
Parfois cela ne suffit pas : en France, ni la guerre contre les ennemis de la révolution, ni les conquêtes territoriales qui l’accompagnèrent ne suffire à assouvir le désir de pouvoir de ceux qui prétendaient parler au nom du peuple. Ils ne se contentaient pas du « populisme bourgeois ». Ils voulaient plus. Ils imposèrent un « dégagisme des bourgeois », qui tous, ou presque, moururent sur l’échafaud. Jusqu’à ce que la peur saisisse les assassins, conduisant au pouvoir un dictateur, accueilli avec soulagement par les survivants des massacres.
On a constaté cela dans de nombreuses révolutions : le désir des peuples de se débarrasser de leurs élites ne se satisfait pas de les voir remplacer par d’autres issues du même moule. La révolution fonctionne alors comme un explosif à mèche lente, qui finit par exploser. Jusqu’à ce qu’un dictateur vienne remettre les hiérarchies en place, à son profit.
Aujourd’hui, au « populisme bourgeois », si présent dans de nombreux pays, et en particulier en Europe, peut succéder un » dégagisme des bourgeois » ; non par la guillotine, ni même par une crise de régime, parce que les institutions sont solides ; ni même par la justice, trop sérieuse et trop lente au regard des impatiences multiples. Mais par un pouvoir extérieur aux institutions, un des seuls qui restent au peuple, un des meilleurs et des pires : la presse ; et plus généralement, les médias, et en particulier les nouveaux médias sociaux. Qui viendront s’attaquer à toutes les réputations.
Par eux, passerait alors la destruction joyeuse de tous ceux qui, de près ou de loin, approchent le pouvoir et qu’on assimile, faute de mieux, à une bourgeoisie honnie. Parfois, pour de très bonnes raisons, quand il s’agit de dénoncer des comportements illégaux.
Jusqu’à ce que, comme dans les révolutions antérieures, les bourreaux soient aussi pris comme cible. Ce qui désigne ici les journalistes comme les ultimes victimes d’une terreur qu’ils auront initiés.
La constitution américaine nous montre comment l’éviter : en appliquant avec rigueur la séparation des pouvoirs, en veillant avec intransigeance à la liberté de la presse et à la protection des citoyens contre la diffamation ; et en ne faisant confiance qu’aux institutions pour juger des hommes et de leurs actes.