Hier, je me suis essayé à demander à la nouvelle version du logiciel d’intelligence artificielle générative ChatGPT, (le numéro 4) quels seraient, selon elle, en 2050, les trois principaux problèmes du monde et ses trois principaux progrès. En quelques secondes, j’ai vu s’écrire un texte très articulé, commençant par s’excuser de ne pas savoir prédire l’avenir ; puis expliquant que, tenant compte des dernières découvertes du moment, les trois principaux problèmes, dans trente ans, seront le changement climatique, les risques épidémiques et la cybercriminalité. Et que les trois principaux progrès seront dans la conquête de l’espace, dans la santé, et dans la maitrise des émissions de gaz à effet de serre.

Chacun peut se livrer aisément à une telle expérience ; d’ores et déjà, bien des étudiants l’ont compris et utilisent ChatGPT pour préparer des exposés, des dissertations, pour élaborer des plans de thèses, ou pour écrire des textes selon le style de Stendhal ou de James Joyce. On peut  faire croire qu’on en est l’auteur, ou qu’on a retrouvé une œuvre disparue d’un auteur que le logiciel aura su imiter. Pour l’instant, ces intelligences artificielles ne sont pas encore créatives, ni véritablement utiles. Leurs progrès sont cependant fascinants, car elles apprennent en permanence avec tout ce qu’elles font et de la façon dont elles sont utilisées.

Très bientôt, les versions prochaines de ces logiciels pourront remplacer les humains dans un très grand nombres de taches. Les métiers les plus à risque seront des activités très qualifiées comme ceux de juristes, avocats, traducteurs, comptables, analystes financiers, journalistes. Selon des études récentes, un quart des emplois aux Etats-Unis et en Europe pourront très bientôt être remplacés par des systèmes d’intelligence artificielle générative. Et puis viendront les consultants de toute nature, les ingénieurs, les architectes, les concepteurs de jeux vidéo, les créateurs de logiciels. Une fois de plus, le progrès technique prolétarisera des activités exigeant une très haute qualification.

Tout cela n’est rien à côté de ce qui nous attendra un peu plus tard : chacun d’entre nous pourra un jour créer à sa guise, grâce à une version ultérieure, (numéro 25 peut-être) des contes pour enfants, des romans, des essais philosophiques, des œuvres musicales, des sculptures, des photographies, des films, des logiciels. Plus encore, on pourra confier à ces logiciels le soin d’inventer d’autres logiciels capables eux-mêmes de créer d’autres logiciels de plus en plus créatifs.

Chacun pourra aussi déléguer ces activités créatives à une intelligence artificielle qui sera son assistant intellectuel et artistique. De plus en plus perfectionnée ; et là encore, l’argent permettra à certains d’avoir des assistants de ce genre de plus en plus sophistiqués.

Ces logiciels seront ensuite capables de prendre des initiatives. Pour commencer, ils pourront écrire des emails avec votre style, en utilisant votre boite mail, ou celle d’un dirigeant privé ou public, pour donner des ordres, révéler des secrets, ordonner des embargos. En se démultipliant, ils pourront créer des désordres indescriptibles. Et pire encore, des intelligences artificielles pourront se coaliser pour utiliser de telles applications contre des humains, ou contre l’humanité en général.

Tous ces dangers sont réels. Et bien plus imminents qu’on ne le croit. Pas question de les éluder, ni de les négliger. Ni de se  contenter de s’émerveiller devant les jeux innocents que ces logiciels permettent maintenant,  ni devant les moyens formidables qu’ils mettront à notre portée pour mieux réfléchir, créer, progresser, enchanter.

Il faudrait mettre au plus vite en place une charte véritablement mondiale reconnaissant les espoirs que portent en elles ces intelligences artificielles, mais leur interdisant de nuire à leurs auteurs humains. Comme le proposait dès 1942 le très grand écrivain américain de science-fiction, Isaac Asimov. Naturellement, on ne le fera pas. Comme on ne l’a pas fait efficacement ni pour la fiscalité, ni pour l’arme nucléaire ni pour le génie génétique.

A moins de reconnaitre enfin, pour ce sujet comme pour tant d’autres, l’urgente nécessité d’une règle de droit planétaire.

j@attali.com

Tableau : René Magritte, l’Empire des lumières, 1954