Ecouter cet article : 

 

La crise actuelle a donné un coup d’arrêt à l’industrie mondiale, qui commence à se réveiller doucement ; comme dans tous les secteurs, beaucoup de ceux qui y travaillent rêvent d’un retour au monde d’avant, aux mêmes foules, aux mêmes avions bons marché, aux mêmes voyageurs venus de loin pour s’entasser chez eux, aux mêmes visiteurs entassés dans les restaurants, les musées.

Et pourtant, ne faudrait-il pas tenir compte, là aussi, des leçons de la crise actuelle ? Elle nous apprend que les voyages devront être infiniment plus régulés, pour éviter durablement la propagation de pandémies, pour réduire la consommation d’énergie fossile, pour ne pas nuire à la protection du patrimoine et des espaces naturels. Par exemple, il serait raisonnable de ne plus voir les HLM sur mer dans la lagune de Venise, ni des millions de touristes sur les plages thaïlandaises.

Venir d’Asie, ou d’Amérique vers l’Europe deviendra donc plus difficile.

Certes, le tourisme, comme il est pratiqué aujourd’hui, n’est pas le principal facteur du réchauffement climatique, mais il en est un ; il n’est pas le principal facteur de destruction de la nature, mais il en est un ; il n’est pas le principal facteur de propagation des pandémies, mais il en est un ; il n’est pas le principal facteur de la réduction de la biodiversité, mais il en est un.

Et si on ne l’admet pas, tout ce qu’on aura gagné par un comportement plus raisonnable par ailleurs sera perdu par ce genre de dérive.

Il faudra avoir le courage de le reconnaitre : le tourisme ancien a vécu. Même si bien des gens refuseront encore longtemps de l’admettre.

De très nombreux pays, de très nombreuses firmes du secteur ont commencé à le comprendre.  Et les comportements vont changer :

Certains assumeront que le tourisme est réservé aux plus riches, qui pourront payer les billets d’avion au prix fort, et s’offrir les chambres d’hôtel en nombre limité (donc cher) qu’offriront les pays ou les villes qui veulent protéger leur patrimoine, et le réserver aux riches. D’autres, plus démocratiques, mettront en place des systèmes de tirages au sort et de quotas pour définir le nombre de gens qui pourront venir chaque année les visiter. Le Bhoutan semble avoir choisi la première stratégie.  En France, le Louvre  choisira la deuxième ; ce qui finira par avoir un impact sur la croissance du  nombre de touristes étrangers à Paris et même en France.

Au total, s’il ne change pas, le tourisme sera à l’avenir réservé à ceux qui seront servis par la fortune : celle de l’argent ou celle du sort.

D’autres enfin comprendront que l’avenir de l’industrie du tourisme n’est plus dans la croissance du nombre de visiteurs, tel que l’on le concevait jusqu’ici, massif et anonyme, mais à l’amélioration considérable de son impact sur l’environnement et sur la nature ; et à l’extension à d’autres secteurs d’activité, d’une dimension particulière du tourisme, que certaines villes et certaines firmes pratiquent depuis toujours :  l’hospitalité ; c’est-à-dire autour de  tout ce qui va de l’accueil, à l’attention, à l’empathie, à l’aide au bien être de ceux qu’on reçoit.

L’hospitalité ne se résume pas à des dons naturels ; elle exige des techniques très particulières, qui sont nécessaires dans bien d’autres domaines que le tourisme : par exemple, les sièges sociaux d’entreprise et les hôpitaux auraient beaucoup à gagner à l’usage de ces compétences. Les entreprises pourraient y trouver des moyens de garder leurs collaborateurs, de plus en plus distanciés par le télétravail : la qualité de l’accueil sur les lieux de travail jouera un rôle important dans la loyauté à l’égard d’une firme. Les hôpitaux pourraient aussi mieux continuer d’améliorer leur dimension hôtelière en utilisant plus encore que ne le font certains d’entre eux des compétences spécifiquement hôtelière, tant pour les malades et le personnel soignant que pour les familles accompagnantes.

L’industrie du tourisme trouvera là de nouveaux marchés, passionnants, rentables, et socialement utiles.

j@attali.com