Peut-on encore garder dans les musées d’Europe des œuvres volées, ou acquises à vil prix, en Afrique, au Moyen Orient, ou en Asie ?

Ces pillages ont même eu lieu entre pays du Nord : un des plus connus étant l’extravagant déménagement de couvents et de châteaux d’Europe, remontés pierre à pierre à New York, en d’étranges architectures, sous le nom de Cloisters.

Ces pillages continuent, partout dans le monde, en particulier aujourd’hui en Syrie, en Irak et le marché international de l’art se nourrit de ces trafics.

Depuis deux siècles, les pays pillés exigent le retour de leurs chefs d’œuvre. Dès 1834, les Grecs ont réclamé le retour à Athènes des frises du Parthénon, achetées en 1801 à vil prix par l’ambassadeur anglais auprès du Sultan, Lord Elgin, et transportées à Londres. Un peu plus tard, les Turcs ont réclamé qu’on leur rendre le temple de Pergame démonté à la fin du 19ème siècle par des archéologues allemands puis remonté et installé dans un musée du même nom à Berlin. Aujourd’hui, les Egyptiens réclament, entre autres chefs d’œuvre, la pierre de Rosette conservée depuis plus de deux siècles au British Museum de Londres, l’obélisque de Louxor installée place de la Concorde à Paris, et le buste de Néfertiti conservée au Neues Museum de Berlin.

Aujourd’hui, on peut penser que les pays du Sud doivent retrouver tous les éléments de leur identité, et d’abord leurs trésors artistiques volés par les grandes puissances d’antan.

Ce n’est pas si simple ; et ce qui vient de se passer au musée de Rio de Janeiro, (créé en 1818 par l’empereur Dom Joao VI, abrité depuis 1892 dans le palais de Sao Cristobal, résidence de la famille impériale portugais, entièrement détruit le 3 septembre dernier par un incendie) conduit à la prudence : le musée n’avait ni portes coupe-feu, ni extincteur, ni détecteurs de fumée. Et toutes les œuvres qu’il contenait sont perdues à jamais.

De fait, aujourd’hui, très peu de pays sont assez sûrs pour que des œuvres d’art y soient véritablement protégées dans des musées.

Alors, que faire ? Faut il concentrer tous les trésors de l’humanité dans quelques coffres fort ? Quelques textes internationaux ont tenté de créer un cadre légal à ses restitutions. Ils sont restés, pour l’essentiel, lettre morte.

Une bonne solution serait de créer un statut nouveau pour les trésors majeurs de l’art mondial, tableaux, sculptures. Et de les inscrire sur une liste, que l’UNESCO pourrait établir, et qui en ferait la propriété inaliénable de l’humanité. Cette liste viendrait compléter celle qui répertorie les sites considérés comme patrimoine mondial et celles qui rassemblent les diverses formes du patrimoine mondial immatériel.

On pourrait considérer que les œuvres enregistrées sur ces listes, propriété de l’humanité, ne sont qu’en dépôt dans les musées qui les détiennent aujourd’hui. Ces musées auraient une responsabilité particulière et ils seraient aidés plus que d’autres. Ils pourraient perdre leur accréditation s’ils ne respectent pas des normes de sécurité particulièrement exigeantes. Dans ce cas, les œuvres devraient être transférés dans d’autres lieux plus sûrs.

Utopie ? Sans doute. Comme tout ce qui permettra à l’humanité de protéger son passé pour construire son avenir.

j@attali.com