Une évidence est apparue récemment : nous nuisons aux générations futures. Par notre inaction sur le climat, par notre destruction de la nature, par notre négligence à l’égard de la santé et de l’éducation ; et plus généralement parce que nous consacrons plus d’argent à la consommation et aux retraites des actifs d’aujourd’hui qu’aux besoins des jeunes de demain. Et pourtant : les adultes d’aujourd’hui auraient intérêt au bien-être des jeunes de demain, qui travailleront quand ils ne le feront plus.  La raison devrait donc les convaincre qu’il est de leur intérêt de ne pas être égoïstes.

Or, l’histoire la plus ancienne, comme les comportements les plus récents, nous apprennent que la raison ne suffit pas à vaincre l’égoïsme. Du refus de la taxe carbone en Europe, à la poursuite effrénée d’achat de gaz et de pétrole, du refus de l’élimination des pesticides et des engrais azotés aux revendications folles de tous les partis, où que ce soit, à la veille d’élections, les vivants d’aujourd’hui refusent toujours, si cela leur nuit,  de créer les conditions d’un monde vivable pour leurs enfants et petits-enfants.

Pour empêcher ce désastre, qui nous attend, j’ai proposé d’inscrire dans la Constitution de chacun de nos pays, en particulier en Europe, comme dans le droit de l’Union Européenne, un principe simple : « toute décision contraire à l’intérêt des générations futures est inconstitutionnelle « ; il faudrait en conséquence mesurer l’impact à long terme de toute décision avant de la valider. On m’a objecté qu’une telle condition est déjà prévue en partie en France par le principe de précaution, qu’aller plus loin serait donner tout pouvoir aux juges, qui ne sauraient pas comment définir cet intérêt des générations futures ; et que tout cela conduirait à l’arbitraire et à des décisions absurdes et antidémocratiques.

Ces objections ne tiennent pas : le principe de précaution n’est pas, en France, une obligation constitutionnelle absolue, et il a été interprété comme devant interdire, dans des cas très rares, ce qui peut nuire à l’avenir le plus proche et pas à l’avenir lointain. D’autre part, l’application de la règle que je propose n’enlèverait rien aux pouvoirs de l’exécutif et du législatif ; cela devrait juste les contraindre à justifier devant leurs mandants de l’impact à très long terme de leurs décisions, plus encore qu’elles ne le font parfois aujourd’hui, quand elles y sont contraintes par des procédures spécifiques, en particulier en matière d’urbanisme. Naturellement, les décideurs pourraient se tromper, et le juge, qui vérifiera la validité de cette mesure de l’impact, pourrait se tromper aussi. Mais, avec le temps, la précision de ces analyses s’améliorera et les tentatives actuelles de mettre en place des mesures de comptabilité extra financières pour les entreprises pourraient nourrir la réflexion sur des mesures d’impact de l’action publique. La mise en place progressive d’une jurisprudence, reprise ou modifiée par le législateur et le peuple souverain, permettra d’enlever au juge ce pouvoir qu’il n’aura eu que provisoirement.

Je propose même (après une conversation avec un ami dont le fils a été la victime d’un chauffard) de généraliser ce principe à toutes les formes de violences faites aux générations futures ; et de considérer comme actes particulièrement punissables toute violence faite aux enfants, tout insuffisance de moyens éducatifs qui ne serait pas justifiée par des contraintes budgétaires incontournables. De même, il faudrait considérer comme illégal l’achat de matériaux, de pièces détachées ou de produits finis fabriqués ailleurs en imposant des violences aux générations futures, et donc en particulier, évidemment en utilisant le travail des enfants.

Une telle interdiction constitutionnelle de toute violence contre les générations futures aurait assez vite des conséquences très profondes sur l’économie. Il ne serait par exemple plus possible de subventionner, comme on le fait aujourd’hui, les entreprises qui produisent ou utilisent, directement ou indirectement, des énergies de source fossile, des pesticides ou des sucres artificiels. Cela devrait même entrainer des comportements individuels de même nature, qui devraient être déjà ceux de parents bien intentionnés l’égard de leurs enfants. Il ne faudrait pas alors attendre 2050 pour mettre en place des changements révolutionnaires, qui n’ont que trop tardé.

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