Il y quelques années, demandant à Jean d’Ormesson ce qu’il pensait avoir appris de plus important en vieillissant, il m’avait répondu sans hésiter, avec son sourire malicieux:  » Je crois que ce que j’ai appris de plus important, avec l’âge, c’est à savoir dire non ».
En l’écoutant, j’avais d’abord pensé que c’était une parole de riche, d’enfant gâté, entouré de tant de fées à sa naissance et de tant de sollicitations plus alléchantes les unes que les autres tout au long de sa vie, qu’il avait eu du mal à les refuser. Et sans doute, en me répondant, pensait-il aux innombrables éditeurs à qui il avait refusé un livre, aux rédacteurs en chef de journaux à qui il avait refusé un article, aux universités auxquelles il avait refusé une conférence, aux admirateurs à qui il avait refusé une invitation à dîner ou déjeuner.
Il est vrai qu’il était ainsi, privilégié. Nul plus que lui ne fut béni des dieux, depuis son enfance, et conscient de l’être, par son rang social et son talent ; remerciant chaque jour le ciel d’être né Jean d’Ormesson et non pas un paysan au fin fond du Bengladesh, qui, lui, peut difficilement dire non, parce que trop peu de gens lui disent « oui ».
De fait, dans le monde d’aujourd’hui, chacun est parfois en situation de ne pas pouvoir refuser un ordre ou un emploi. Parce qu’une loi l’impose. Ou parce qu’on n’est pas en situation matérielle de pouvoir refuser. Et parce que dire non, c’est se fermer des portes de l’avenir, c’est refuser un don, sans nécessairement avoir l’esperance de recevoir autre chose dans le futur. C’est se faire des ennemis, c’est prendre le risque de perdre un client, un partenaire, un emploi.
Il n’empêche, sa phrase vaut d’être prise en compte par tous.
Parce que, « apprendre à savoir dire non », c’est d’abord avoir le courage de choisir ce qu’on veut, ne pas se laisser porter par le désir des autres. Quel que soit l’enjeu: un repas, une rencontre, une relation sentimentale, un emploi, un achat, un ordre. De ce point de vue, dire non est toujours un acte d’héroïsme du quotidien ; la première manifestation de la liberté. Celle de l’enfant comme de l’adulte.
Savoir dire non, c’est aussi construire l’éthique qui permet de choisir. C’est avancer dans la connaissance de soi.
Savoir dire non, c’est encore ne pas procrastiner. C’est ne pas dire  » peut-être », ni « plus tard », ni « on verra », ni « pourquoi pas », ni « on en reparle » ; c’est ne pas mentir, et surtout ne pas se mentir à soi-même. C’est apprendre à ne pas avoir peur. Ni avoir peur de faire de la peine. Ni laisser planer un doute sur ses intentions, ni sur ce qu’on est prêt à accepter, ou à refuser. C’est ne pas laisser entendre « peut-être », ce qui ouvre à tous les malentendus, à tous les abus, à toutes les abominations qu’entretient l’ambiguïté.
Savoir dire non c’est aussi savoir dire oui. C’est commencer à devenir soi.
Plus encore : dans « savoir dire non » il y a « savoir » Et c’est donc avoir l’habileté de refuser sans fâcher ou humilier celui qui croit vous faire plaisir en vous proposant quelque chose dont on ne veut pas. C’est trouver une façon de dire non qui emporte l’adhésion, la connivence, la compréhension de celui qui essuie le refus.
Dans ce cas, dire non peut meme devenir l’occasion de créer une relation vraie avec l’autre, dans le respect réciproque.
Et, si l’on en croit l’exemple de Jean d’Ormesson, c’est alors la meilleure façon de rendre plus précieux encore le cadeau d’un « oui ».