Qu’on se rassure, il n’a jamais été question pour moi de me porter candidat à un poste ministériel quelconque et je ne souhaite ici que de tirer parti du départ d’un ministre pour évoquer un problème beaucoup plus sérieux : Encore une fois, les enjeux ne sont pas des questions de personne mais de structure ; et nul ne fera mieux ou plus mal que Nicolas Hulot sans un changement de gouvernance.

Il faut d’abord savoir raison garder, et relativiser l’importance d’un tel ministère. Parce qu’il ne s’agit que de la France, qui ne représente que 1% de la population mondiale et 4% de la production de la planète : serions-nous plus qu’exemplaire que nous n’aurions qu’un impact dérisoire sur le réchauffement climatique de la planète. Et parce que l’Etat n’est qu’un acteur parmi d’autres de cette grande bataille : indépendamment des lois et des règlements, chacun est responsable de l’avenir de l’humanité par la façon dont il choisit de vivre, et par ce qu’il choisit de consommer, dans la limite de ses moyens.

Il faut cependant faire au mieux, ici et maintenant, pour que la France ne reste pas un passager clandestin de la planète, et faire même plus que notre part de l’effort commun, pour donner l’exemple d’une action efficace, dans l’intérêt des générations futures.

Telle est la définition de l’économie positive : celle qui se préoccupe, dans chacune de ses décisions, de l’intérêt des générations futures. Naturellement, cela ne garantirait pas contre l’erreur : on peut mal évaluer l’impact à long terme d’une décision. Mais, si on ne cherche pas à le connaitre, on est sûr de le négliger.

L’Etat doit en prendre sa part. Et un Ministère de l’écologie, tel que conçu aujourd’hui, ne peut y suffire, puisqu’il n’est qu’un acteur parmi d’autres d’un Etat condamné à régler l’urgent avant de s’occuper de l’important.

Certes, depuis 15 ans, quelques progrès ont été réalisé en France dans la protection de l’environnement. Et le Ministère de l’Ecologie y a joué son rôle.

Pour être plus efficace encore, il devrait être transformé en un Ministère de l’Economie positive, qui devrait avoir le pouvoir d’agir, sur tous les sujets, au nom des générations futures. Ayant la responsabilité particulière de l’environnement, et de lui seul, il devrait pouvoir, sur tout autre domaine, faire valoir l’intérêt des générations suivantes. En particulier en matière d’industrie, d’agriculture, d’infrastructure, de transport, d’éducation, de prévention, de fiscalité, d’endettement, de défense du patrimoine, tous sujets qui devraient dépendre opérationnellement d’autres ministères.

Ce ministère ne devrait donc pas être pléthorique ; il n’aurait pas besoin d’une administration considérable, sinon des moyens d’étudier, et de faire prendre en compte par le gouvernement de l’impact à long terme de tous les projets de ses collègues. Il serait donc un ministère d’un genre nouveau, plus organe de contrôle que de gestion, totalement transversal, rattaché au Premier ministre, avec droit de véto, sous contrôle du Premier ministre et du Président, sur les projets de ses collègues, si son administration peut justifier qu’ils nuisent à l’avenir de la planète.

Le Parlement devrait lui aussi se doter d’un tel instrument d’analyse, pour évaluer, avant de passer au vote l’impact écologique, financier et social de tous les projets de loi sur les générations futures.

Cette réforme institutionnelle ne serait totale que si le Conseil Constitutionnel et le Conseil d’Etat voulaient bien reconnaitre que la défense de l’intérêt des générations futures fait aussi partie de leurs prérogatives, dans le contrôle des lois et des décrets. Ne serait-ce que parce que la Constitution en fait une valeur sacrée de la République.

En agissant ainsi, la France se placerait vraiment à l’avant-garde mondiale du combat écologique. Pour le plus grand bien de tous.

j@attali.com