Dans le monde d’aujourd’hui, chacun ou presque, gilet jaune ou gilet doré, ne se préoccupe plus que de lui-même ; chacun pense que tout lui est dû, que tout ce qui est vital doit lui être fourni gratuitement, que personne ne peut le priver du superflu et qu’il a même le droit de le considérer comme vital.

Et pourtant, même parmi les gilets dorés, presque personne ne se reconnaît comme riche ; chacun ne voit que ce qui lui manque ; et se plaint de ne pas avoir les moyens de vivre toutes ses envies.

De fait, aujourd’hui, presque partout dans le monde, la plupart des biens vitaux (la nourriture, l’habillement, l’équipement ménager, le transport collectif) sont beaucoup moins coûteux qu’avant. Certes, certains biens vitaux (logement, la santé, l’éducation le transport individuel) restent hors de portée des plus démunis et supposent de la solidarité entre gilets jaunes et gilets dorés.

De plus, des biens nouveaux (ordinateurs, tablettes, téléphones mobiles, jeux vidéo, abonnements à des plateformes) se sont glissés dans les besoins vitaux, parce que nul n’imagine de s’en priver. Ce qui réduit la part du revenu disponible pour financer les autres biens vitaux. D’où le sentiment, trompeur, que le pouvoir d’achat de chacun est en baisse, que les impôts sont un vol et les dépenses publiques un dû.

Or, le pouvoir d’achat n’est pas en baisse. Il est seulement très inégalement, très injustement réparti. Et les dépenses publiques, que finance l’impôt, ne sont pas un dû pour les vivants d’aujourd’hui ; et elles sont aussi essentielles au bien-être d’autres que les gilets jaunes et les gilets dorés : les générations futures.

Or, tant que nous n’avons pas changé de modèle de développement, le bien être d’aujourd’hui nuira à celui de demain : Plus de consommation pille les ressources des générations futures. Plus de justice sociale dégrade leur environnement. Et inversement, réduire les émissions de gaz à effet de serre pour demain aggrave les injustices d’aujourd’hui. Ainsi, augmenter les taxes sur le carbone, pour préparer l’avenir, est inévitablement contraire aux intérêts immédiats des vivants d’aujourd’hui.

Préparer l’avenir ne peut donc être fait qu’au détriment de la satisfaction des désirs immédiats des contemporains, gilets d’or et gilets jaunes confondus.

Pour dépasser cette contradiction, il faut passer au plus vite à un modèle de développement positif, où le bien-être d’aujourd’hui ne nuise pas à celui de demain. Et en particulier où la réduction des injustices dans le présent ne nuise pas à l’environnement dans le futur.

Cela suppose de réduire massivement notre dépendance aux énergies polluantes, pétrole et charbon ; et de diminuer au plus vite notre consommation d’autres produits considérés aujourd’hui comme vitaux et qui seront reconnus demain comme mortels, tels la viande de bœuf, le sucre et tant d’autres. Cela suppose aussi d’orienter la consommation vers les biens immatériels plutôt que matériels ; et, surtout, d’apprendre à découvrir qu’on peut avoir du plaisir à être altruiste.

Plus généralement, cela suppose d’aider chacun (plus les gilets jaunes que les gilets dorés) à réconcilier ses exigences d’aujourd’hui avec celles de ses enfants, à trouver plus de bonheur à préparer l’avenir qu’à gaspiller le présent, à définir ce qu’il attend des autres, et ce qu’il est prêt à faire pour contribuer à leur bonheur.

Cela s’appelle être positif. Et, en soi, cela rend heureux.

j@attali.com