Ce qui se passe en France est très inquiétant, et pas seulement pour les juifs. L’antisémitisme, qu’il soit cyniquement proclamé de quelques voyous (rappeurs en mal d’audience, polémistes médiocres, comiques sans talent), ou lâchement assumé par certains dirigeants de partis politiques supposés démocratiques et en pleine déroute morale et idéologique (je veux les nommer ici : EELV et LFI), ne menace pas seulement une communauté habituée à ces malheurs. Si on le laisse s’étendre, il détruira la société française tout entière.

Pour le comprendre, il faut en rappeler les racines : depuis des millénaires, on reproche aux juifs d’avoir apporté l’idée d’un dieu unique, pour tous les humains, et toutes les créatures vivantes ; d’avoir sacralisé Jérusalem en se l’appropriant ; et de s’enrichir comme préteur. Et, comme toujours, on déteste celui à qui on doit quelque chose et il faut se fâcher avec lui, en lui attribuant tous les vices, pour se prouver à soi-même qu’on ne lui doit rien.

Il faut d’abord détruire ces croyances : les Juifs n’ont pas inventé le monothéisme (qui commence au moins avec le zoroastrisme), ils ne sont pas appropriés Jérusalem (ils y vivaient déjà il y a trois mille ans), et ils ne sont devenus préteurs que forcés par les tenants des autres religions monothéistes. Enfin, si certains juifs ont récupéré un État, perdu il y plus de deux mille ans, c’est au moment où la communauté internationale leur a proposé de partager cette terre avec leurs voisins palestiniens, qui l’ont refusé.

S’il est quelque chose que le judaïsme a apporté au monde, c’est la valorisation du progrès moral, économique, social et environnemental ; c’est l’idée de la communauté de destin de tous les humains ; et c’est enfin l’idée, révolutionnaire, que le scandale n’est pas la richesse, si elle est honnêtement gagnée, mais la pauvreté.

Aujourd’hui, tout se mêle : le retour du fondamentalisme dans toutes les religions, le refus de l’ouverture au monde, la haine des riches, (que justifie l’extraordinaire aggravation des inégalités mondiales), le communautarisme (que flattent les partis les plus démagogues) ; et la politique désastreuse des actuels dirigeants israéliens qui refusent de voir le tort que fait au judaïsme et à l’état d’Israël lui-même, la transformation de la première démocratie du Moyen-Orient en une quasi-dictature théocratique.

De plus, aujourd’hui, les réseaux sociaux démultiplient la diffusion de ces fausses nouvelles et permettent de diffamer impunément depuis des pays qui n’extradent personne.

Ceux qui jouent avec le feu, en flattant ces pulsions mortifères, se déshonorent et n’en tireront aucun avantage. En France, en particulier, c’est faire insulte aux musulmans que de penser les attirer avec ce genre de complaisance ; en Israël, ce gouvernement suicidaire tombera et la démocratie israélienne refleurira, fera la paix avec tous ses voisins et leur reconnaîtra les mêmes droits et devoirs.

Plus encore, il faut se souvenir, que toute vague antisémite précède un obscurantisme beaucoup plus vaste. Ceux qui ont abandonné les Juifs allemands à leur sort dans les années trente n’ont pas compris qu’ils seraient les prochains sur la liste des victimes. Et aujourd’hui, à l’aube de temps qui pourraient redevenir barbares, doivent s’unir contre l’antisémitisme tous ceux qui croient en la raison, en la justice, en la démocratie, et en la morale.

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Image : Christian Guémy.