En France, comme dans d’innombrables pays, le système de santé chancelle. Les hôpitaux sont débordés, les personnels harassés, les malades inquiets. Les inégalités se creusent entre ceux qui ont accès aux meilleurs traitements et médecins mondiaux, et les autres.

A cela, on trouve mille raisons, plus ou moins pertinentes : des budgets de plus en plus sous contraintes ; des équipements et médicaments de plus en plus coûteux ; des personnels au temps de travail officiel réduit et en réalité épuisés, ; des patients de plus en plus impatients ; un refus des contribuables et des assurés de payer davantage de primes et « charges sociales » (expression idéologique pour désigner ce qui sont, en fait aussi, des primes d’assurances).

Si on continue comme ça, les systèmes de santé des plus grands pays vont exploser. On soignera de plus en plus mal ; on mourra de plus en plus de maladies dont on aurait pu guérir ; on aura de plus en plus de mal à recruter de nouveaux médecins et infirmières, en particulier dans les spécialités les plus exigeantes, et dans celles qui exigent la plus grande disponibilité.

On verra, on voit déjà, se mettre en place une « Uber médecine », où les personnels seront anonymisés, prolétarisés, pour le plus grand profit des compagnies qui les emploieront, des assureurs qui les financeront, et des gestionnaires de données, qui ne seront pas loin.

L’espérance de vie, et surtout l’espérance de vie en bonne santé, diminuera, comme elle commence d’ailleurs déjà à le faire dans certains groupes sociaux aux Etats-Unis .

Rien n’est plus important, pour les électeurs, que leur santé et celle de leur famille. Aussi, aucun régime démocratique ne résistera à cette défaisance de son système de santé et en particulier à la violation de la promesse centenaire de mettre les vertigineux progrès de la médecine à la portée de tous.

Les réformes à accomplir sont immenses ; elles ne sont pas les mêmes dans tous les pays. Il est cependant sept principes communs qu’il faudra respecter :

1. Reconnaître que ce n’est pas l’offre de santé qui crée la demande, mais le refus, légitime, de la souffrance ; et la demande, tout aussi légitime, d’une bonne vie, aussi longue que possible.
2. Accepter que la santé, (étant pour l’essentiel, comme l’éducation, constituée de services, dont la productivité est, par nature, inférieure à celle de l’industrie), représente une part sans cesse croissante du PIB.
3. En tirer les conséquences sur le système de tarification des actes médicaux et de rémunération des personnels.
4. Développer en cohérence les équipements médicaux de proximité et la télémédecine.
5. Mettre en place une logistique spécifique de la mobilité des patients, pour leur permettre d’aller aisément là où se trouve les équipements nécessaires. Sans utiliser pour cela des pompiers, qui ont autre chose à faire
6. Mettre l’accent massivement sur la prévention. De fait, les pays qui dépensent le plus en prévention ont déjà une meilleure espérance de vie que les autres. Sans aller, comme le faisait la médecine chinoise, jusqu’à ne rémunérer les médecins que lorsque leurs patients ne sont pas malades, il faut dépenser beaucoup plus la prévention des risques, la propreté des villes et l’enseignement de pratiques personnelles saines : faire du sport, manger moins, seulement pendant les repas, manger plus lentement, éliminer le sucre, les produits transformés, le tabac, les alcools forts, les anxiolytiques et les autres drogues.
7. En particulier, dépenser plus pour son alimentation que pour de nouveaux jeux vidéo et autres appareils numériques.

Tout cela ne se fera pas en un jour. Cela suppose une immense révolution des esprits et des organisations. Il est d’autant plus urgent de commencer.

j@attali.com