Plus personne n’en doute : cette pandémie aura un impact considérable sur le monde.

On ne peut d’abord pas exclure que sa léthalité sera beaucoup plus élevée qu’elle ne l’est aujourd’hui ; que les systèmes de santé se révèleront incapables de soigner tous ceux qui seront atteints ; et en particulier, qu’on n’aura pas partout assez d’équipements de soins intensifs, et qu’il faudra, dans les pays les moins préparés, choisir, parmi les malades les plus gravement atteints, ceux qu’on pourra soigner. Pire encore, une telle situation pourrait faire définitivement basculer nos civilisations dans le comble de l’individualisme, de la lutte sauvage pour la vie. Plus de respect de l’autre. Plus d’empathie. En route pour la dictature.

On ne peut pas non plus écarter que la pandémie finisse par avoir un impact très grave sur l’économie mondiale. Une crise de la demande, suivie d’une crise de l’offre, aggravée par l’interruption des réseaux de production, pouvant entrainer des pénuries, donc de l’inflation, qui pousserait à une hausse des taux d’intérêt, pouvant déclencher la faillite des entreprises incapables de financer leurs endettements et la ruine d’établissements financiers assez imprudents pour les avoir soutenues ; le chômage exploserait ; une crise sociale majeure en découlerait, aux conséquences politiques, là encore, incalculables. D’autant plus que les plus riches trouveraient toujours, dans ces circonstances, les moyens de faire plus encore fortune.

On n’en est pas là, et on peut encore tout faire pour l’éviter. Pour y parvenir, il faudrait aussi que cette crise, sans faire plus de victimes, marque vraiment les esprits ; et qu’on y décèle au plus vite, dans les interstices de ces catastrophes menaçantes, quelques indices d’un possible monde meilleur. Les actions les plus importantes se dessinent clairement :

D’une part, agir massivement sur les éléments les plus directs de la crise : Il nous faut plus d’hygiène individuelle, et collective ; plus de médecins, d’infirmières, d’équipements hospitaliers, de moyens de soins intensifs ; plus de moyens de recherche fondamentale et appliquée. Il nous faut enfin réguler les systèmes financiers et défaire les folles pyramides de dettes qui nous ont emmené là où nous sommes aujourd’hui.

D’autre part, tirer le meilleur des nouvelles pratiques que cette crise, quelle que soit sa gravité, nous aura imposé : se respecter, se laver, se surveiller ; passer plus de temps avec les siens, avec ses amis, et avec la nature ; cuisiner et passer du temps à table ; sélectionner les déplacements les plus utiles ; découvrir les vertus du télétravail ; réduire la durée et le nombre de participants des réunions, réelles ou virtuelles ; utiliser vraiment ces nouvelles technologies pour bien écouter de la musique, pour informer, pour enseigner et pour diagnostiquer. Produire autrement, avec une division géographique du travail beaucoup moins dispersée et fragile. Et, en conséquence, promouvoir un tout nouveau mode de croissance, et de nouveaux secteurs économiques jusqu’ici, pour certains, négligés. Surtout ceux de la santé et de l’éducation, dans toutes leurs dimensions. Il n’a d’ailleurs pas fallu longtemps pour que Wall Street regroupe certaines de ces entreprises dans un nouvel index, indice dit Stay Home, où on retrouve, à coté de Netflix, 33 entreprises directement bénéficiaires de cette crise, aussi diverses que Activision Blizzard, Slack, Teladoc, New York Times, Sonos, Amazon, Blue Apron, Alibaba, Campbell Soup, Central Garden and Pet Co.

Plus généralement, cela nous apprendra à prendre au sérieux la seule chose dans le monde qui est vraiment rare, qui a vraiment de la valeur : le temps. Le bon temps. Celui de notre vie quotidienne, qu’on ne doit plus perdre dans des activités futiles. Celui de notre vie personnelle, qu’on peut allonger en y consacrant plus de moyens. Celui de notre civilisation enfin, qu’on peut préserver, en cessant de vivre dans l’agitation, la superficialité, et la solitude. Dans un tout nouvel équilibre entre nomadisme et sédentarité.

j@attali.com