Un bon skieur sait que, pour passer une porte dans un slalom, il faut déjà penser à se préparer à franchir la porte, suivante. Et c’est vrai avec tout : la meilleure façon de faire face à une crise, c’est d’agir en se préparant à en tirer les leçons pour gérer au mieux la suivante. Cela semble peu intuitif : et pourtant, si on avait, dans toutes les circonstances, tenu compte de ce qu’on avait appris de la crise précédente, celle que nous traversons aujourd’hui eut été beaucoup plus facile à gérer.

Il y a donc beaucoup de leçons à tirer, dès aujourd’hui, de la crise actuelle ; pour mieux la dépasser et mieux se préparer à l’inévitable suivante. D’abord, sur les moyens dont il faut doter chaque système national de santé, en personnel, et en matériel ; puis sur les conditions de la coordination internationale, et en particulier les moyens plus ou moins coercitifs dont doit disposer l’OMS : il est insensé que cette organisation soit dotée de beaucoup moins de pouvoirs que n’en ont, dans leurs domaines, le Comité Olympique international ou la FIFA.

Il est un autre secteur où la crise actuelle mérite qu’on agisse vite, pour le présent et l’avenir, celui de l’hygiène : Il ne faut pas en effet oublier que la crise actuelle a commencé par un problème d’hygiène dans un marché de nourriture en gros, à Wuhan.

C’est donc l’occasion de se souvenir que l’hygiène est un enjeu économique, social, culturel et politique majeur. Et qu’il serait urgent de le traiter comme tel. Et d’agir massivement. Tout de suite.
Plus de 45% de la population mondiale n’a pas accès à des services d’hygiène efficaces ; plus de 40% des gens n’ont pas de moyens de se laver les mains à domicile. Plus de 2 milliards de personnes n’ont pas accès à des toilettes. La nourriture de plus de la moitié de la population de la planète passe par des marchés de gros à l’hygiène douteuse. Au moins 10% de la population mondiale mange de la nourriture irriguée par des eaux usées. Et pas besoin d’aller très loin pour voir le peu de cas fait, partout, de l’hygiène urbaine, de l’hygiène personnelle, de l’hygiène au travail ; l’actuelle campagne électorale, en France, devrait être l’occasion de s’en souvenir.

L’impact de l’hygiène sur la santé est établi : ne pas se laver les mains est la cause de plus de 40% des taux de diarrhées et de 23% des infections respiratoires. Les pays sans hygiène ont le plus haut taux de mortalité d’enfants de moins de 5 ans, le plus haut niveau de malnutrition et de pauvreté. L’absence d’hygiène dans les bureaux et les usines réduit aussi la productivité et donc la croissance économique. L’absence d’hygiène est un motif pour ne pas utiliser des transports en commun, de ne pas aller dans un restaurant, de ne pas entrer dans un magasin ou un cinéma. Plus particulièrement, une étude menée au Bangladesh a montré que 73% des ouvrières manquent 6 jours de travail par mois par manque de moyens et de services d’hygiène féminine.

Cela ne concerne pas que les pays en développement : les pays les plus riches, qui disposent des moyens d’hygiène ne les utilisent pas non plus. En particulier, une étude a montré en 2014 que l’absence d’hygiène a un coût de 14,5 milliards en France, 13,7 en Grande Bretagne, et 12,6 milliards en Allemagne.

Il serait donc particulièrement rentable, ici et maintenant, d’investir dans l’économie de l’hygiène. Et ce serait très rentable, même sur le simple terrain économique : Une étude de l’OMS de 2012 a montré que chaque euro investi dans l’hygiène rapporte 5 euros (en réduisant le nombre de morts prématurés, en réduisant les dépenses de santé et en augmentant la productivité). Une étude menée par l’UNICEF en Chine a montré que la distribution de savon dans les écoles primaire réduirait de moitié l’absentéisme des élèves.

Au moment où on se prépare, partout, à mettre en place des programmes de relance de l’offre et de la demande, il serait bon de penser à celui-là : Un grand programme mondial de développement de l’hygiène devrait concerner non seulement des secteurs d’infrastructures, (comme les réseaux de gestion des eaux usées, les marchés de gros,) mais aussi des entreprises produisant des produits d’hygiène, le recyclage de ces produits, aujourd’hui trop souvent en plastique à usage unique. On comprendra alors qu’il y a des relations très étroites entre hygiène et protection de l’environnement. L’un et l’autre renvoient à des actions et des comportements voisins. Aux conséquences incalculables : l’hygiène est un facteur essentiel de la confiance. Et, dans la situation actuelle, rien n’est plus important que de la restaurer.

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