S’il est un secteur de l’activité humaine qui doit repenser totalement sa façon de travailler et son rôle dans la société, c’est bien l’éducation. Et d’abord l’enseignement supérieur.
A un moment où, plus que jamais dans l’Histoire, le savoir est devenu une condition essentielle de la démocratie et de l’emploi , la croissance exponentielle des découvertes et l’obsolescence de plus en plus rapide des technologies et des pratiques bouleversent les exigences de la transmission du savoir, pendant que les nouvelles technologies en bouleversent la pratique : le livre, puis le journal, la radio, puis la télévision , aujourd’hui internet et demain les MOOCS jalonnent cette évolution, qui a remis , remet et remettra chaque jour d’avantage en cause, le rôle des professeurs.
Il faut désormais admettre qu’il faut aussi remettre en cause le rôle des diplômes.

Pendant des siècles, les connaissances acquises à l’université restaient valables tout au long de la vie. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Certes, l’acquisition initiale des connaissances reste une nécessite fondamentale, et il convient de lutter plus sévèrement que jamais contre l’illettrisme et l’incapacité d’un nombre important de jeunes, dans tous les pays, à maîtriser les savoirs de base. Mais il faut aussi admettre que les savoirs, aussi bien assimilés soient-ils, sont de plus en plus vite obsolètes : les connaissances apprises en médecine, en école d’ingénieurs ou de commerce, et dans toutes les universités, sont aujourd’hui dépassées moins de 5 ans après l’obtention des diplômes. Or ceux-ci continuent cependant d’ouvrir à des métiers et des statuts sociaux, sans que, trop souvent, les universités ou écoles qui les ont octroyé se préoccupent de les actualiser. Sinon pour quelques métiers très particuliers, dans le domaine de la santé, ou de la sécurité.

Pour pallier ces lacunes on assiste, partout, à la prolifération d’entreprises commerciales, dites « de formation permanente », aux compétences parfois douteuses, dont les formations ne sont contrôlées et validées en général par personne. D’où le discrédit croissant des diplômes, et l’importance accrue de la formation par le travail. D’où le fait que les recruteurs attachent de plus en plus souvent plus d’importance aux CV qu’aux diplômes.

Il est donc urgent, pour les Universités, si elles ne veulent pas disparaître un jour du paysage de l’enseignement supérieur et professionnel, de s’occuper pleinement de la formation permanente, en l’assurant elles-mêmes. Il est aussi urgent pour les entreprises d’obtenir des universités qu’un parcours professionnel puisse constituer l’équivalent d’un diplôme, en établissant des correspondances entre l’exercice de certaines fonctions dans l’entreprise et l’acquisition universitaires de compétences. Il est enfin urgent pour l’Etat, de les y conduire en ne donnant aux diplômes universitaires qu’une validité temporaire, à confirmer à intervalles réguliers.

Cela devrait conduire à raccourcir la durée des études initiales, comme c’est déjà le cas quand on les truffe de stages. Cela devrait en particulier conduire à contrôler réellement la valeur pédagogique de ces stages ; et à faire en sorte que les universités et les entreprises dialoguent d’avantage pour faire en sorte que tout emploi fournisse une réelle occasion d’apprendre. Cela devrait enfin conduire à ce que la formation acquise par le travail ou par une formation en ligne soit validée par un certificat universitaire.

A terme, chacun devrait avoir en ligne un CV contenant toutes ces informations, avec la mention des organismes ayant certifié la sincérité des compétences qui y sont affirmées. Les entreprises pourraient alors recruter non en cherchant un diplômé de telle ou telle école, mais quelqu’un disposant d’une palette précise de compétence, que les CV en ligne permettraient aisément d’identifier. Cela réduirait massivement le cout de l’enseignement supérieur et pousserait les étudiants à avoir une approche beaucoup plus modulaire de leurs formations qu’ils devraient penser sur leur vie entière.

En France, la reforme à peine amorcée de la formation professionnelle pourrait en être l’occasion. Encore faudra-t-il avoir le courage de s’attaquer à bien des citadelles: les entreprises commerciales de formation permanente, qui veulent garder le monopole de leurs marchés. Les associations d’anciens élèves qui veulent préserver la rente de leurs membres, même si ceux ont renoncé à tout effort après quatre ou cinq ans d’études supérieures. Les Universités, qui, sans vergogne, ferment leurs locaux cinq ou six mois sur douze. Et bien d’autres…

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