Le cœur de l’action politique tient en un mot : Décider.
On peut faire beaucoup de reproches à Nicolas Sarkozy et je ne me suis jamais gêné pour le lui en faire. Mais il est une qualité qu’on doit lui reconnaitre : sa capacité à décider en période de crise. Il le fit, et très bien, lorsque la France présida l’Union Européenne. Ou quand il se trouva confronté à la crise géorgienne. Ou face à l’imbroglio libyen. Mais décider vite ne suffit pas pour décider bien. Et les quelques réformes qu’il conduisit, les abandonnant parfois au milieu du gué, ne lui permette pas d’espérer, pour l’instant, quoi qu’il en pense, un bilan durable dans l’histoire du pays : ni la réforme des universités, ni celles de la fiscalité, ni celles des collectivités locales, ni celles des mœurs, ni aucune autre qu’il impulsa ne constitue une mutation majeure, irréversible, historique améliorant le destin commun. Et aucun bâtiment d’importance, même, ne portera son nom. C’est ainsi.
Ce n’était pas inévitable : il aurait pu, il aurait dû, rendre l’État plus efficace et plus économe, réduire la bureaucratie et les strates électives, libérer les forces de croissances, attirer les talents étrangers, révolutionner l’école primaire et la formation permanente. Il ne fit rien de tout cela. Bien sûr, la crise financière internationale a pesé. Au-delà, la raison est triple : l’absence d’un projet ambitieux ; le trop grand souci de ménager sa popularité en se soumettant à ses propres extrêmes ; l’absence de mécanisme sérieux de suivi de la mise en œuvre des réformes. Au total, l’incapacité de penser la fonction de l’homme d’État autrement que comme une succession de décisions potentiellement contradictoires. Encore Nicolas Sarkozy ne réussit-il à faire ce qu’il fit qu’au prix d’un gonflement considérable de l’endettement public, ce que ne firent ni la Suède, ni l’Allemagne, ni le Canada, ni la Suisse.
D’autres chefs d’État avant lui surent décider : le général de Gaulle laissa un bilan immense ; Georges Pompidou réussit quelques réformes culturelles définitives, dont le Centre qui porte son nom ; Valéry Giscard d’Estaing laissa une réforme de la majorité électorale, une loi sur l’avortement, la création du G7 et du Sommet Européen ; François Mitterrand laissa l’abolition de la peine de mort, la dépénalisation de l’homosexualité, la libération des ondes, la décentralisation du territoire, le Grand Louvre, la Grande Bibliothèque et la création de l’euro. Jacques Chirac, à mon sens, ne laissera rien, si ce n’est le musée des Arts Premiers.
François Hollande en est à ce moment charnière : s’il décide mal, ou peu, dans les jours qui viennent, il ne restera rien, lui non plus, de son mandat. Si par contre, il réfléchit au bilan de ses prédécesseurs, il peut encore être très utile au pays et y laisser une trace.
Il se trouve dans une situation bien pire encore que Nicolas Sarkozy, près de deux ans après le début de son mandat : un chômage au plus haut ; un niveau d’endettement record ; un pays encalminé dans la récession, malgré la reprise autour de lui ; un pouvoir discrédité par ses hésitations ; au total, un pays au bord de l’insubordination, prélude aux révolutions.
L’échec relatif de son prédécesseur devrait suffire à faire comprendre à François Hollande qu’il ne lui suffira pas de réclamer le monopole de la décision, même s’il est nécessaire. Ce n’est pas en laissant les évènements décider pour lui que les meilleures décisions seront prises à temps. Il lui appartient de décider de ce qu’il veut faire, de le dire, d’inscrire ces projets dans un grand dessein et de mettre en place les procédures nécessaires pour que ces décisions soient suivies d’effet : un calendrier de mise en œuvre ; un suivi attentif à son niveau ; une indifférence absolue aux méandres de l’opinion.
Au-delà des déclarations de sa prochaine conférence de presse, François Hollande devra donc exprimer clairement, et répéter, dans les semaines à venir, le projet géopolitique, culturel et social dans lequel s’inscriront ses engagements nouveaux ; il devra aussi prouver sa capacité à être indifférent aux critiques, et se donner les moyens de traduire durablement ses promesses en actes. Par exemple, il ne lui suffira pas d’affirmer une intention de réduire les dépenses publiques, mais il lui faudra encore expliquer à quelle conception de l’État cela correspondra, de combien il compte les réduire, dès l’année prochaine, et dans quel secteur ; et suivre lui-même la réalisation de cet engagement.
Le pays y est prêt ; il désire que les hommes et les femmes qui les dirigent sortent enfin, dans leur vie publique, de l’ambiguïté, et osent enfin mettre sérieusement en œuvre des réformes d’évidence, qui font l’objet d’un consensus dont seuls les hommes politiques feignent d’ignorer l’existence.
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