Quand le président de la république française reconnaît publiquement qu’il est social-démocrate, se rallie-t-il à une doctrine d’avenir, ou bien vient-il rejoindre un mouvement dépassé ?

Pendant longtemps, la social-démocratie a incarné un modèle de société impossible en France: un État modeste, excluant l’appropriation collective des moyens de productions et s’appuyant sur des partenaires sociaux puissants pour se concentrer sur la recherche de la justice sociale, par des dépenses publiques massives, financées par une économie de marché concurrentiel. Ce modèle, expérimenté d’abord dans la Prusse de la fin du 19ème siècle, incarnait le seul socialisme que Karl Marx pensait possible, aussi longtemps que le capitalisme ne se serait pas généralisé à la planète entière.

Dans les pays qui sont aujourd’hui sociaux-démocrates, où l’ont longtemps été, comme la Suède, la Norvège, la Finlande, l’Autriche ou les Pays-Bas, ce modèle a permis, et permet encore, de réduire le chômage et les inégalités, et d’approfondir la démocratie dans l’entreprise, sans que les considérables dépenses publiques qui l’organisent ne nuisent au dynamisme de l’économie de marché. Par exemple, le Danemark, dirigé aujourd’hui par les socio-démocrates et des alliés plus à gauche, a un niveau de dépenses publiques supérieur à celui de la France, ce qui ne l’empêche pas d’avoir un taux de chômage inférieur , une dette publique très basse, et une balance des paiements largement excédentaire.

En France, pays où l’État est, depuis des siècles, propriétaire d’une part importante de l’industrie, où les syndicats ouvriers sont restés très faibles, où l’extrême gauche n’a pas été discréditée par le terrorisme, où le parti communiste est resté longtemps dominant et où l’économie de marché a longtemps été présentée comme diabolique, la social-démocratie n’avait pas sa place, au moins dans le vocabulaire.
La crise de la mondialisation, qui aggrave les inégalités, approfondit le chômage, ruine les États et les institutions de protection sociale lui donnent une nouvelle vigueur.

Mais les seuls outils de la négociation sociale, des transferts massifs, et d’une économie de marché florissante ne suffiront pas à répondre à ces défis. Ils sont en effet sans impact crédible sur l’environnement, la globalisation, d l’urbanisation, les transports, la solitude, le stress. Ils ne fournissent pas, en particulier, de réponses convaincantes aux questions posées par l’évolution des exigences pédagogiques et thérapeutiques, par la dynamique de l’identité nationale, et par les menaces posées par le numérique sur les libertés. Ils ne disent rien enfin de la façon de sauver la démocratie quand la mondialisation la bouscule et que l’idéologie individualiste la marginalise.

L’augmentation illimitée des dépenses publiques et les palabres des partenaires sociaux ne constituent donc plus l’alpha et l’oméga de l’action publique. Il faudra y introduire au moins deux idées neuves :
D’une part, chaque citoyen devra disposer, ici et maintenant, de plus de « bon temps ». Autrement dit, l’ambition suprême du politique devra etre de faire en sorte que chaque minute de la vie de chaque citoyen soit aussi pleine possible. Cela le conduira par exemple à accorder une importance majeure à l’amélioration des transports en commun, pour qu’ils deviennent un lieu de confort, où chacun pourrait y étudier, ou s’y distraire. Et aussi à considérer que l’objectif ultime de la société n’est pas de réduire la durée du travail, mais d’en améliorer le contenu pour que chacun y trouve un épanouissement personnel.
D’autre part, chaque génération devra considérer qu’il est de son intérêt de faire le bonheur des suivantes, parce que c’est aussi dans son intérêt. Cela conduira par exemple à faire de l’état un investisseur patient dans les secteurs de l’avenir, en particulier d’économies d’énergie, de santé et d’éducation ; cela mènera aussi à favoriser la stabilité et la loyauté des actionnaires à l’égard des autres parties prenantes de l’entreprise. Cela fera surgir enfin une nouvelle géopolitique, condition de la survie de la démocratie, qui, dans le cas de la France, l’amènera à considérer la construction d’une Europe et d’une Francophonie Fédérales comme des éléments essentiels du « bon temps », pour cette génération et les suivantes.

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