Pour ceux qui croiraient encore que les marchés orientent les décisions de la façon la plus rationnelle, ou que les gouvernements font ce qu’il faut pour les maîtriser, il devrait suffire d’observer ce qui se passe en ce moment pour changer d’avis.

Depuis quelques semaines, les preuves du réchauffement climatique s’accumulent. Et même si certains peuvent mettre en avant, en sens contraire, quelques données rassurantes (par exemple, dans la majorité des pays européens, le nombre d’hectares brulés par des feux de forêts en 2023 est pour l’instant très inférieur à ce qu’il a été pendant les mêmes mois de la période 2006-2022 : il est en baisse de 15% en Espagne, de 21% en Italie, de 85% à Chypre, ce que rappelle en particulier Nial Ferguson, dans son excellent dernier édito pour Bloomberg) et même si la température, en Europe du Nord, est parfois en dessous de l’ancienne normalité, les faits sont là et têtus :

La planète se réchauffe. Par exemple, en moyenne, pendant les années 2019-2022 (comparées à la décennie 1950), il y a eu 2, 7 fois plus de jours avec une température en milieu d’après-midi supérieure à 30 degrés à Athènes ; 3,7 fois plus à Barcelone ; 8,1 fois plus à Paris ; et même 10,4 fois plus à Londres. Et mille autres données, en particulier pour la température des océans, dont dépend directement le cycle de toute vie sur notre planète, et qui augmente à une vitesse très supérieure à toutes les prévisions.

On pourrait s’attendre à ce que, pour lutter contre ce réchauffement climatique, et toutes ses conséquences, les marchés prennent les bonnes décisions et que les entreprises investissent massivement dans les secteurs de l’économie de la vie, et dans la reconversion des secteurs de l’économie de la mort.  Il n’en est rien. Les cours de bourse des entreprises produisant des énergies fossiles sont au plus haut.   Jamais la production de charbon, de pétrole, de gaz, n’a été plus élevée ; et elle est le fait d’entreprises de tous les pays, y compris d’entreprises dites européennes. Plus encore, sachant tout cela, tout est irrationnel, dans le comportement des investisseurs : par exemple, les entreprises devraient se déplacer vers les régions où la température est ou sera la plus clémente : il n’en est rien. Ainsi, les entreprises américaines se déplacent en ce moment vers les régions du pays les plus menacées par les conséquences du réchauffement climatique, comme la Floride et le Texas. Et la population américaine elle-même se déplace vers là où la température devient infernale, comme en Arizona. Plus généralement, les entreprises ne prévoient même pas les conséquences dramatiques pour elles de l’augmentation inévitable des primes d’assurance contre ces catastrophes.

Par ailleurs, alors que tout annonce des jours sombres, les marchés sont au plus haut, et la crise financière globale, qui arrivera un jour, semble avoir été une fois de plus reportée par l’accord du Congrès et du président américain pour augmenter le plafond de la dette publique, et par les masses immenses de capitaux qui se déversent sur des marchés où l’argent rapporte de plus en plus  aux acheteurs d’obligations, avec une inflation de plus en plus faible ; sans que, pour le moment, cela ne nuise au cours des actions, comme la simple rationalité devrait y conduire. Et pourtant, la dette publique américaine a augmenté en deux mois d’un montant voisin de la dette totale de la Grande Bretagne, et une agence de notation, Fitch, a, pour la première fois, dégradé la note de la première puissance financière du monde, l’ancre du système capitaliste, qui n’est plus AAA.

Et, une fois de plus, les dirigeants politiques se plient aux ordres du marché. Par exemple, la très récente réunion des ministres de l’environnement du G20, en Inde, s’est terminée sur un refus de fixer quelques limites que ce soit à l’émission planétaire de gaz à effet de serre, dont tout le monde sait aujourd’hui qu’elle est suicidaire, à tres court terme. Pire encore, beaucoup de pays ont affirmé que le G20 n’était pas le bon endroit pour parler de climat et que la COP (devenue malheureusement une mascarade impuissante) suffisait.

Tant que les opinions publiques ne se mobiliseront pas vraiment, pour exiger une réorientation massive de l’usage des capitaux, l’alliance mortifère des marchés et des gouvernements, démocratiques ou totalitaires, les uns et les autres obsédés par leur survie, créera chaque jour davantage les conditions d’un drame pour l’humanité.  Et pourtant, les solutions existent. Elles sont à notre portée. Sans remettre en cause le niveau de vie, ni même la croissance, ni l’espérance de vie de tous. Bien au contraire.

En attendant, bonnes vacances…