Chacun connaît les chiffres : la population mondiale devrait atteindre 9,8 milliards d’habitants en 2050 ; et plus encore si se poursuit la tendance récente à une réduction de la scolarisation des filles. La plus grande partie de cette population vivra dans les pays en développement (87% vs. 77% en 2022), en ville (68% vs. 55% en 2022) ; elle aura entre 15 et 64 ans (63% vs. 65% en 2022) avec une espérance de vie moyenne de 76.8 ans (vs. 72.8 en 2022). Il y aura 2, 5 milliards d’Africains et 1,7 milliards d’Indiens. Sur les 8 pays représentant la moitié de la croissance démographique mondiale, 5 seront africains : la République démocratique du Congo, l’Égypte, l’Éthiopie, la Tanzanie et le Nigeria, qui, au rythme actuel aura 790 millions d’habitants en 2100 avec une ville, Lagos, de 100 millions d’habitants. L’âge moyen en Afrique sera de 17 ans contre 42 ans en Europe, et plus encore au Japon, en Corée du Sud, et en Allemagne. Le nombre des plus de 80 ans aura triplé, de 150 à 450 millions.

Ceci n’ira pas sans d’énormes mouvements de population : pour le moment, moins de 0,1% de la population africaine émigre chaque année hors d’Afrique et les subsahariens, qui sont aujourd’hui 10 millions en Europe, contre un million en 1960, ne représentent encore que 10% des migrants du monde.

En 2050, qu’on le veuille ou non, on assistera à un jeu de vases communicants démographiques à cause des problèmes climatiques, alimentaires, politiques et religieux. Plus de   400 millions de personnes devraient avoir choisi de vivre dans un autre continent que celui où elles sont nées. Bien plus nombreux encore seront ceux qui auront bougé à l’intérieur de leur propre continent, de la campagne à la ville, d’un pays à l’autre.

Aujourd’hui, ces migrations sont des drames pour ceux qui sont contraints à l’exil et pour les pays qu’ils quittent, qui se voient privées d’une part essentielle de leur jeunesse. Elles provoquent aussi bien des tensions dans les pays qui sont réticents à les recevoir. Si elles sont mal gérées, elles conduiront à des conflits, amèneront l’extrême droite au pouvoir dans de très nombreux pays et briseront des centaines de millions de vies.

Si cela était bien géré, si ces migrations étaient organisées d’une façon humaine, si les migrants étaient formés et intégrés décemment dans leurs pays d’accueil, pour en protéger l’identité culturelle, ces mouvements de population seraient utiles à tous. Ils allègeraient la charge financière des pays émergents, leur apportant la partie transférée des salaires gagnés par les migrants au Nord et ils fourniraient aux pays du Nord une main-d’œuvre qualifiée et non qualifiée, pour compenser leur effondrement démographique, et pour financer leurs retraites par répartition.

Encore faudrait-il que, sur ce sujet comme sur tant d’autres, l’humanité veuille bien s’organiser globalement, comprendre que son intérêt est d’être altruiste, qu’il a tout à gagner à se nourrir des cultures des autres et ne jamais oublier ce proverbe japonais : « Quand tu es chez toi, pense au voyageur. Quand tu voyages, pense à celui qui est chez lui ».

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Image : Angelo Tommasi, Gli emigranti, 1896