Bien sûr, le Mondial de football est une distraction presque planétaire. Et pourtant, la moitié de l’humanité n’y joue pratiquement pas, pour le moment en tout cas, dont les Etats-Unis, l’Inde et la Chine. Et il donnera la victoire cette année à un pays membre (ou presque membre s’il s’agit de la Croatie) de l’Union Européenne, une des régions du monde politiquement les plus malades.
Bien sûr, cet événement nous dit aussi beaucoup du nationalisme montant, dont on s’inquiète partout. Et pourtant, on n’y a assisté, pour le moment en tout cas, à aucun délire extrémiste, ni sur les stades russes, ni dans les pays compétiteurs ; et jamais le soutien à une équipe ne s’est traduit par des marques de xénophobie à l’égard des autres.

Si on prenait au sérieux ces signes, on en conclurait que l’Europe ne va pas si mal, et que le populisme ne nous menace pas autant qu’on le dit.
Sans doute faut-il aussi observer, et prendre bien plus au sérieux, d’autres signes venus du monde du football, bien plus importants et bien plus révélateurs de ce qui vient : le dimanche 8 juillet, à quelques jours de la finale de ce Mondial, et dans une discrétion à peu près totale, un des plus grands clubs européens, l’AC Milan, bien placé dans le championnat national, est passé sous contrôle d’un fond d’investissement américain, Elliot Management , parce que son propriété chinois, Li Yong Hong, qui l’a racheté l’an dernier à Silvio Berlusconi, ne pouvait payer les échéances de ses emprunts.

Quelle ironie : Des entreprises américaines et chinoises, venus de pays qui ne jouent pratiquement pas au football, se disputent la propriété d’un des plus grands clubs européens, dont la valeur est estimée aujourd’hui à plus de 500 millions d’euros !
Quel symbole : ces deux pays se disputent un joyau de l’économie européenne du football, comme un signe, particulièrement clair, de la mainmise à venir, par des firmes de ces deux pays, sur les principales entreprises de l’Union.

Car l’essentiel n’est pas le sort de ce club italien, victime collatérale des difficultés financières d’un fonds chinois et de la rapacité de son créancier américain : ce dernier le revendra bientôt à un autre actionnaire, assez fou pour le payer à un prix sans commune mesure avec sa rentabilité.

L’essentiel, c’est que bien d’autres firmes, en Chine, comme dans beaucoup d’autres pays émergents, aux Etats-Unis comme en Europe, et dans de très nombreux secteurs, sont aujourd’hui surendettées, et empruntent, pour rembourser leurs échéances, à des taux de plus en plus élevés, après avoir augmenté leurs fonds propres sur des valorisations très supérieures à ce que leurs actionnaires ne pourront jamais espérer recevoir comme dividendes. Le sort du fond chinois les attend. Et leurs actifs passeront de main en main, sans que les salariés n’aient rien à dire.

Tout se met ainsi en place pour une nouvelle crise mondiale : le surendettement, les valorisations folles, la montée des taux d’intérêt, le protectionnisme, le ralentissement de la croissance. On a connu cela très souvent dans l’Histoire. Et encore il y a moins de dix ans.

Pourra-t-on empêcher cette crise ?

Pour le moment, on n’a pas trouvé d’autres moyens que de soigner le mal par le mal : vous êtes trop endetté ? Vous craignez de ne pas pouvoir rembourser vos dettes ? Il est urgent, vous explique-t-on, de vous endetter davantage pour honorer vos échéances.
Un jour, dans un mois ou dans trois ans, quelqu’un prendra peur. Et les préteurs vendront à perte, pour ne pas tout perdre, pour ne pas être les derniers à croire que les valorisations de leurs actifs peuvent monter jusqu’au ciel. Et là, encore une fois, la crise commencera.

Mais, à la différence de ce qui s’était passé il y a dix ans, on ne pourra plus utiliser, pour s’en sortir l’arme de la dette publique, ni celle de la baisse des taux d’intérêt. L’une est au plus haut. L’autre est au plus bas.
Bien pire sera au rendez-vous.

Tout cela n’est pas grave, la Coupe du monde se termine dans la joie universelle … Et la suivante se prépare déjà…

j@attali.com