Une fois de plus, comme si souvent dans l’Histoire, des hommes politiques parfaitement républicains se croient malins en adoptant une version plus ou moins édulcorée du programme de leurs adversaires extrémistes, pensant attirer ainsi vers eux les électeurs de ces partis.

Cette stratégie a toujours échoué, partout dans le monde, et en particulier en Europe dans les années trente. Pourtant aujourd’hui encore, en France, en Grande Bretagne, en Allemagne, en Italie, en Autriche, d’innombrables partis à la généalogie impeccable reprennent à leur compte les propos, les invectives, et les propositions les plus ignobles des partis les plus extrêmes, des fascistes et des populistes les plus sombres, en particulier en matière d’immigration : « Pas un réfugié de plus. Renvoyons-les d’où ils viennent. »

Dans cette course folle à la surenchère xénophobe, certains, parmi les notables les mieux établis (je pense au Sénat Français) en viennent même à proposer de ne plus soigner les migrants en situation irrégulière, ne se rendant même plus compte que les Français qu’ils croient défendre seraient les premières victimes de ce choix. Sans même compter l’inhumanité d’une telle proposition, contraire à tous les principes du droit et de l’éthique. D’autres partis vont plus loin (et cela viendra en France) et s’allient ouvertement avec les extrêmes, de peur de les voir prendre le contrôle idéologique de toutes les droites, puis le contrôle politique du pays. C’est bien ce qui se joue en France avec le parti de M. Wauquiez, qui semble craindre la concurrence, plus médiatique qu’idéologique, d’un nouveau rejeton de la famille Le Pen.

Pour justifier une telle stratégie, un tel renoncement à leurs valeurs, certains des caciques de la droite républicaine, donnent en exemple François Mitterrand, qui s’était en effet allié avec le parti communiste pour le rendre inutile. Mais c’est oublier que, à l’époque, les socialistes n’avaient passé avec les communistes qu’un compromis tactique sur la gestion économique du pays, sans aucune concession sur les questions idéologiques ou éthiques ; le parti communiste français n’étant d’ailleurs même pas critiquable sur le terrain des droits de l’homme, sinon par son soutien embarrassé à l’Union soviétique.

Il en va tout autrement aujourd’hui : c’est bien sur les questions morales que les partis traditionnels vendent leurs âmes à l’extrême droite, sans plus la moindre retenue. Et on en voit aussi la trace dans les partis de gouvernement à priori les mieux protégés contre ces risques. En particulier, les ministres de l’intérieur, partout en Europe, et quel que soit leurs partis, y compris en France, rivalisent de surenchère xénophobe, contredisant allègrement la doctrine de leur propre parti. Et, en France, celle du Président de la République, qu’il a mainte fois exprimée.

C’est un jeu très dangereux. Car on voit peu à peu se constituer ainsi une doctrine populiste apparemment cohérente, envahissant tout, fondée sur l’hostilité aux étrangers, et la défense des rentes. La fermeture xénophobe s’alliant tout naturellement à la protection des corporatismes les plus dépassés : Le populisme s’oppose tout naturellement à tous ceux qui réussissent, nomades par nature, ouverts au monde par nécessité.

C’est cela qui, dans les années trente, a nourri le national- socialisme, dont le retour est aujourd’hui en marche, en Europe, et ailleurs, dans une idéologie, parfois masquée par la jeunesse séduisante de ceux qui l’incarnent.

Ce n’est pas ainsi qu’on vaincra la « lèpre » qui menace le monde ; et ceux qui jouent à ce jeu devront affronter un jour la colère des générations suivantes dont ils auront bafoué l’avenir.
C’est en affrontant clairement les enjeux du moment : Au lieu de flatter un peuple désorienté, en lui disant qu’il a raison de se refermer, il faut au contraire expliquer sans relâche que l’ouverture est la condition de la survie de notre niveau de vie, de notre démocratie et de la réussite d’un modèle de développement nouveau, positif, dans l’intérêt des générations futures. Oui, nous avons besoin d’accueillir des étrangers. Oui nous avons besoin de nous confronter à la concurrence du reste du monde. Oui nous avons besoin de valoriser le succès plus que l’échec. Oui, nous avons besoin d’une démocratie courageusement laïque, laissant à chacun le droit de vivre pleinement ses croyances dans la sphère privée. Oui, nous avons besoin d’innover, d’inventer ; en matière technologique comme sociale et environnementale. ; en matière de mœurs comme de culture.

A nous, au plus vite, de donner un visage humain, empathique, à l’écoute des plus vulnérables, à cette doctrine de l’ouverture. Elle est la seule qui pourra nous protéger des épouvantables dictatures qui menacent. Elle est la seule qui pourra sauver plus de deux siècles de construction d’une Europe des Lumières.

Il faudra, pour réussir, que chacun soit écouté, respecté, promu, valorisé ; que nul ne soit oublié ou abandonné au bord de la route. On en est très loin : la dictature se nourrit toujours des négligences des démocraties.

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