La pandémie en cours n’est en rien une surprise ; depuis longtemps, on savait qu’elle était possible. Et bien des livres ont prédit depuis longtemps l’imminence de ce genre de catastrophe.

En particulier, on savait que la Chine ne prenait pas les précautions nécessaires, après le dernier épisode de ce genre, celui du SRAS qui, en 2003, fit moins de mille victimes, et coûta moins de 0,5 pour mille du PIB mondial. On savait que toute crise ultérieure serait infiniment plus grave : parce que la Chine est infiniment plus importante dans l’économie mondiale qu’il y a quinze ans ; parce que le nomadisme planétaire des choses et des gens est infiniment plus développé ; parce que la culture du secret, qui entoure ce genre d’évènements dans les dictatures, s’est développée avec les nouvelles technologies ; et enfin parce que les institutions internationales, dont l’OMS, sont de plus en plus inféodées aux plus puissants gouvernements du monde.

Beaucoup savaient donc qu’une nouvelle pandémie aurait des conséquences plus graves que la précédente. Et pourtant, on en est là. La pandémie actuelle est déjà plus grave que la précédente et nul ne peut encore prédire jusqu’où elle va aller.

Dans l’hypothèse où elle explose vraiment, sur toute la planète, ce serait un cataclysme gigantesque. C’est possible, mais peu vraisemblable. Et, pour en limiter les conséquences, il faudrait prendre, le moment venu des mesures dont les conséquences humaines, sociales, économiques, écologiques, politiques, pourraient être terrifiantes.

Dans l’hypothèse, la plus vraisemblable encore aujourd’hui, où la pandémie actuelle sera vite enrayée, les conséquences seront quand même bien plus importantes que la dernière fois. D’abord sur le terrain économique, par le ralentissement de l’économie chinoise et par la fermeture du monde aux produits et aux visiteurs venus de l’Asie. Et plus encore sur le terrain politique : le régime chinois peut y perdre sa crédibilité, comme le régime soviétique perdit la sienne avec la catastrophe de Tchernobyl, démontrant, une fois de plus, que, contrairement au consensus actuel, une dictature ne peut devenir durablement la superpuissance mondiale.

Une fois cette crise écartée, quelles qu’en aient été les conséquences, il est vraisemblable qu’on passera à autre chose, sans en tirer les leçons. Sans mettre en œuvre, à l’échelle mondiale, les actions majeures nécessaires permettant de se protéger des suivantes, nécessairement plus importantes encore. Au moins les quatre actions suivantes :

1. Organiser beaucoup mieux, en Chine et ailleurs, l’hygiène des marchés de gros, et de la chaîne alimentaire, sur le modèle des meilleurs marchés du monde, dont celui de Rungis.

2. Prévoir beaucoup mieux, et faire connaître beaucoup plus tôt, les débuts d’une pandémie nouvelle, même si le gouvernement local s’y refuse. C’est possible : la pandémie actuelle aurait pu être annoncée beaucoup plus tôt, bien que la Chine ait refusé la communication des informations nécessaires, comme vient de le démontrer une entreprise canadienne, Blue Dot, qui, avec des informations publiques, avait annoncé l’épidémie de coronavirus dix jours avant que le gouvernement chinois ne se décide à l’annoncer. Il faut dès maintenant mettre en place mondialement ce genre d’observatoires, fondés sur un usage massif et ouvert des technologies de l’intelligence artificielle.
3. Développer des réseaux de laboratoires de recherches, avec beaucoup plus de moyens et de coopération entre les équipes, pour se préparer à aller beaucoup plus vite dans la recherche d’antidotes.

4. Mettre en place de grands programmes d’hygiène publique, qui permettront aussi de réduire l’impact écologique de l’activité économique.

Rien n’est plus urgent que de penser et d’agir mondialement. Rien n’est plus difficile, pourtant, quand les trois quarts de l’humanité manquent de l’essentiel et quand chacun est pris par des urgences, présentes et futures, mineures ou dramatiques.

On peut au moins espérer qu’une telle pandémie, lourde de menaces, en soit le déclencheur.

J@attali.com