Aujourd’hui, l’idéologie dominante est partout narcissique et impatiente. Beaucoup ne s’intéressent qu’à eux et veulent tout, tout de suite. Les réseaux sociaux poussent à ce narcissisme et à cette immédiateté. Les règles impitoyables du marché poussent aussi chacun à ne penser qu’à lui, et à tenter de survivre, comme travailleur, consommateur, actionnaire, ou entreprise, dans l’instant ; obsédé par le prochain salaire et le prochain cours de bourse. Les procédures de la démocratie glorifient aussi, la liberté individuelle, et soumettent les dirigeants à la dictature exigeante des sondages d’opinion, et aux fourches caudines des élections de toutes natures et des référendums. Tout cela pousse au populisme, à la fermeture des frontières. Et au pire.

Car, en même temps, il n’est pas un jour sans qu’un événement ou une crise ne nous rappelle l’urgence de décisions à long terme, même provisoirement impopulaires, et ayant un impact à la taille des problèmes, c’est-à-dire toujours mondiale :

La maîtrise des émissions de gaz à effet de serre ne peut être que planétaire. Car elles ne peuvent évidemment être contenues à l’intérieur de frontières.
L’élimination des déchets qui polluent les mers suppose une action sur tous les océans et dans tous les fleuves qui les déchargent aux embouchures. La mer, elle non plus, n’a pas de frontière.
La réduction des inégalités planétaires suppose des transferts de richesses entre plusieurs pays et continents, et des mesures fiscales qui ne peuvent être prises qu’à l’échelle mondiale, si on veut qu’elles soient efficaces.
La nouvelle épidémie de coronavirus ne pourrait pas être contenue par une illusoire fermeture des frontières. Pour être maîtrisée, elle suppose des actions coordonnées dans tous les pays touchés.
La protection des espèces végétales et animales menacées suppose des actions dans tous les pays où elles se trouvent et dans tous les pays qui les consomment.
La protection des travailleurs n’est possible que si est imposée mondialement, une interdiction d’importer des produits fabriqués par le travail des enfants ou par des travailleurs surexploités.
La maîtrise de l’impact des nouvelles technologies, de l’intelligence artificielle à la biogénétique, ne peut être crédible que si elle est planétaire. Sinon, quelqu’un fera toujours ce qu’il faut pour créer des clones, ou des armes nouvelles et terrifiantes, en utilisant ces formidables promesses de progrès.
De telles actions, nécessairement mondiales comme beaucoup d’autres, supposent aussi d’être dans la durée, avec des projets énormes, et des financements gigantesques. Elles ne peuvent donc être menées qu’au nom des générations futures, qui en seront les principales bénéficiaires. On verra vite que les générations actuelles ont aussi tout à y gagner, qu’elles ont intérêt à être altruiste.

C’est dans cette reconnaissance de l’importance de ce que nous appelons « l’altruisme intéressé », contre le poison du narcissisme éphémère, que se situe le principal enjeu idéologique aujourd’hui.

Mettre en place une économie « positive mondiale et démocratique » est urgent. On en est loin, car chacun de ces qualificatifs semblent contredire la nature même de ce qu’est l’économie. Et pourtant, c’est, chaque jour d’avantage, une nécessité. Et plus encore : il faudra aussi un gouvernement mondial positif.

Car, pour que de telles décisions ne restent pas lettre morte, il faudra avoir des moyens de sanction, c’est-à-dire des juges, des policiers, des prisons, des financements. Et donc, un parlement. Et donc, un jour, un gouvernement mondial démocratique et positif. Utopie ? Oui. Il existera au XXIIe siècle. Commençons à le concevoir.

Positive Planet, et en particulier l’Institut de l’Économie Positive, y travaillent très modestement et très activement. En particulier, l’Institut a lancé les premiers États Généraux de la planète. Pour faire surgir vingt propositions majeures à mettre en œuvre. C’est plus qu’une bouteille à la mer. C’est une espérance.

Jacques Attali