Dans presque tous les pays du monde, les migrations sont l’occasion de débats très animés : dans les pays du Nord, on regarde avec méfiance, sinon haine, l’arrivée d’étrangers par vagues de plus en plus fournies. Dans les pays émergents, on s’inquiète de voir les jeunes élites, formées à grand prix, partir vers les pays du Nord pour compléter leurs études et ne plus revenir dans leur pays d’origine.

Certains pays réussissent à gérer décemment ces problèmes : quelques pays du Nord réussissent à calquer le rythme d’arrivée des migrants avec leur capacité d’intégration. Quelques pays du Sud arrivent à passer des contrats avec leurs jeunes diplômés pour que, une fois formés à l’étranger, ils reviennent dans leur pays d’origine y apporter leurs compétences.

Il faut se préparer à ce que ces problèmes prennent bientôt une ampleur bien plus grande : de plus en plus d’Asiatiques, d’Africains, de Latino-Américains, n’auront d’autres choix, pour survivre aux conflits et aux évolutions climatiques, que de tenter de rejoindre l’Amérique du Nord et l’Europe occidentale ; ils y vivront pour la plupart d’abord en clandestins ; ceux qui ne seront pas expulsés y feront leur vie, et y auront des enfants.  En conséquence, les peuples des pays du Nord seront de plus en plus métissés et il deviendra même la norme, en Europe et aux Etats-Unis, d’avoir au moins un grand père étranger.

Il faut considérer cela comme une chance : les peuples les plus ouverts sur le reste du monde sont ceux qui ont le mieux réussi culturellement, économiquement, socialement, politiquement. Depuis l’Empire Romain, jusqu’au Canada d’aujourd’hui, les pays les plus prospères sont ceux qui ont su utiliser les formidables apports de ces jeunesses pour combler leurs vides démographiques, jusqu’à en faire des dirigeants illustres. D’autres y réussissent moins bien : la France, en particulier, a toujours eu le plus grand mal à accueillir des étrangers, en ne voulant pas voir qu’elle était elle-même le fruit de bien des mélanges, et de l’apport de bien des envahisseurs (elle porte d’ailleurs le nom de l’un d’entre eux) ; que plus d’un Français sur dix a au moins un parent étranger et près du tiers des habitants de notre pays ont un grand parent né étranger.

Il faut aller plus loin et considérer que, pour un pays, la multiplication des origines de ces citoyens est une chance ; à condition de réussir une intégration qui préserve les valeurs fondamentales de cette nation dont, dans le cas de la France, les valeurs de la laïcité.

En particulier, les habitants d’un pays qui ont encore des liens très forts avec un autre, parce qu’ils y sont nés (qu’ils en conservent ou non la nationalité) ou parce que leurs parents y sont nés et y conservent des attaches, forment des communautés très spécifiques, qu’on nomme, par abus de langage, des « diasporas ». On n’en utilise pas tout le potentiel. Tant du point de vue du pays qui les reçoit, que de celui dont ils viennent.

Ainsi, il y a en France, plusieurs millions d’Algériens et de Français d’origine algérienne, de Marocains et de Français d’origine marocaine, d’Anglais et de Français d’origine anglaise, de Maliens et de Français d’origine malienne ; et ainsi pour plus d’une centaine de nationalités. De même, il y des millions de Français à l’étranger, restés Français, et d’autres devenus Américains, Australiens, Israéliens, ou Canadiens ; et tant d’autres situations particulières. C’est vrai de tous les pays. Un cas extrême est celui de l’Inde, qui a d’immenses diasporas sur tous les continents, jusqu’à avoir un premier ministre britannique et les dirigeants des plus grandes firmes américaines.

Ces diasporas apportent déjà beaucoup à leurs pays d’accueil et renvoient des ressources importantes vers leur pays d’origine. Elles pourraient être plus encore, et on aurait tort de ne pas les utiliser d’une façon stratégique. En acceptant que leurs membres soient des ponts entre leurs différents pays. Des ponts économiques, culturels, humains, permettant de mieux se comprendre et d’empêcher les conflits et rien ne s’oppose à une double allégeance, qui peut aider à construire des ponts entre ces pays. Bien sûr, si un conflit se déclenche, les diasporas ont le devoir de réserver leur loyauté au pays dont ils sont citoyens.

Pour la France, par exemple, c’est une chance d’avoir tant de Français au Maroc. C’est aussi une chance d’avoir tant de Marocains en France. On pourrait imaginer voir ces deux diasporas œuvrer pour développer davantage de projets entre ces deux pays et réduire l’incompréhension qui brouille les esprits.

Enfin, tous ces liens permettront de comprendre que la meilleure façon de ralentir les migrations serait d’aider les pays émergents à se développer assez pour que nul n’ait envie d’en partir.

 

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Peinture : Norvégiens débarquant en Islande en 872, par Oscar Wergeland (1844-1910)