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Depuis 1988, en France, les campagnes présidentielles sont chaque fois plus courtes, et moins nourries de contenus programmatiques. Et, à chaque fois, on en paie le prix : un président élu sans programme, qui ne peut  pas imposer à sa majorité et au pays les  décisions difficiles qui ne peuvent être prises qu’en début de mandat. Aussi, depuis trente ans, le pays s’enfonce chaque fois d’avantage dans l’inaction: une armée de moins en moins adaptée aux combats de l’avenir, une industrie de moins en moins compétitive, un appareil  éducatif de plus en plus inégalitaire, un système de santé manquant de plus en plus de moyens ;  tout en étant encore assez riche pour pouvoir se le cacher à lui-même, et reporter  chaque fois d’avantage le poids des problèmes sur les générations suivantes, qui auront à rembourser les dettes du pays, et  de l’Etat.

La campagne, qui commence enfin, septième depuis 1988, sera encore pire que les six  précédentes : plus courte encore, opposant  des candidats déclarés à ce jour d’un irréalisme total,  ou d’une impréparation abyssale, ou se réclamant de valeurs contraires à la démocratie, ou les trois à la fois.

Et plus encore, cette campagne  ne sera pas, comme les précédentes, un moment d’inconscience dans un océan d’insouciance. Car deux menaces mortelles, obscurcissant l’horizon, seront devenus visibles et occuperont les esprits bien plus que la campagne elle-même ; alors qu’elles devraient, depuis  des années, guider l’action des dirigeants et les programmes des candidats : la menace d’une apocalypse nucléaire et la menace d’une apocalypse climatique.

La première, qui pèse sur l’humanité depuis près de quatre-vingts ans et qui est pratiquement oubliée, se rappelle à notre souvenir avec la guerre en Ukraine : elle  pourrait conduire, si elle est mal gérée,  au déclenchement d’une apocalypse nucléaire par un dictateur acculé, qui pourrait, pour compenser un échec en Ukraine, décider d’envoyer quelques-uns des six mille missiles nucléaires dont il dispose,  raser la France et l’Allemagne, à moins d’obtenir leur neutralisation. Cette hypothèse n’est plus absurde. Elle  devrait nous rappeler que nous avons intérêt, depuis très longtemps, en Europe, à unir nos  force, à ne plus compter sur un allié américain de moins en moins crédible ;  et que le projet d’une défense  européenne commune devrait structurer notre  politique étrangère dans toutes ses dimensions.  Il en découlerait une politique industrielle, (puisqu’il faudrait construit une industrie européenne de la défense), une politique de la recherche, et des projets communs dans d’innombrables  autres domaines.

La deuxième menace, qui n’est perçue que depuis peu,  alors qu’elle est là aussi  depuis longtemps, est celle d’une apocalypse climatique ; le nouveau rapport du GIEC,  paru cette semaine et passé inaperçu, en rappelait l’évidence et l’urgence : c’est  bien une véritable apocalypse climatique qui est devant nous. Elle n’aurait pas lieu en quinze minutes, comme l’autre, mais elle serait tout aussi irréversiblement mortelle  pour l’espèce humaine.  Là encore, la solution existe. Elle devrait,  elle aussi,  structurer toute notre politique industrielle, toute notre conception de la ville, de la ruralité, de la mobilité. Elle devrait nous conduire à employer moins d’énergie, et, par une étrange ironie, utiliser la source d’une des deux  apocalypses pour empêcher l’autre : l’énergie nucléaire est une solution, au moins transitoire, pour éviter l’apocalypse climatique. Il faut noter que le président sortant, pas encore officiellement candidat et au programme encore inconnu, est, pour le moment, le seul à  proposer des réponses claires à ces défis.

Ces deux projets suffiraient à structurer un projet présidentiel crédible ; ils exigeront énormément de moyens qui ne pourront pas être utilisés pour autre chose ; ils  réduiront donc  les moyens qui pourraient être  utilisés pour les dépenses les plus courantes,  et ils exigeront,  pour être socialement  tolérables, une attention plus grande encore aux injustices.

Ils  supposent  surtout l’un et l’autre un désir de sauver l’essentiel, de se battre sans fuir, de préserver l’avenir de nos enfants, aussi puissant que celui  dont font preuve  chaque jour les Ukrainiens.

Espérons que la campagne qui commence , aussi courte soit elle, permettra au pays d’en  prendre conscience : voulons-nous vraiment que notre continent soit encore vivable pour nos petits enfants  ? C’est la seule question qui compte aujourd’hui.

j@attali.com