Ces trois mots désignent trois courants, trois forces, très à la mode en ce moment, qui semblent se développer tout à fait indépendamment les uns des autres, et même de façons contradictoires. Le capitalisme trouve sa source en Occident, le bouddhisme, en Asie, et certains voient celle du ­populisme en Amérique latine. Le premier est matérialiste, le deuxième, spirituel, le troisième, idéologique. Le premier promet l’enrichissement, le deuxième, la sérénité, le troisième, la sécurité.

Le bouddhisme suppose l’indifférence au désir matériel, ce qui est contraire aux nécessités du capitalisme, lequel suppose la liberté individuelle, elle-même contraire aux ­exigences du populisme. Ces trois projets sont donc a priori à des années-lumière les uns des autres, et leur expansion actuelle simultanée ne ­serait que le résultat de coïncidences.

Il y a très rarement des coïncidences en Histoire ; ici, il n’y en a aucune. Car les deux premières de ces forces, le capitalisme et le bouddhisme, ne se développent plus aujourd’hui que d’une façon dévoyée, mutilée, rudimentaire, ce qui les place toutes deux au service de la troisième : le ­capitalisme et le bouddhisme sont en train de devenir les accoucheurs du populisme.

Le capitalisme est, en effet, de plus en plus réduit à sa ­dimension la plus sommaire : l’avidité. Ce que la mauvaise publicité encourage sans cesse et que les pires écoles de gestion glorifient dans leurs cours. Cela peut se résumer d’une expression : « Moi d’abord. » Ou plutôt : « Seulement moi, et tout de suite. » C’est oublier qu’un entrepreneur qui ne penserait qu’à son profit, et non à l’intérêt de ses clients, de ses salariés, de ses fournisseurs et enfin de ses actionnaires, serait condamné à disparaître.

Le bouddhisme est, lui aussi, de plus en plus réduit à sa dimension étroite : la recherche du bonheur personnel, dans l’indifférence aux autres et dans la résignation devant les malheurs du monde et la disparition des libertés. Ainsi, ce « moi d’abord » universel fait-il le lit du populisme, dont le credo est : « Cessez de vous occuper des autres, ne pensez qu’à vous et seulement à vous ! Ne cherchez que votre bien-être immédiat, et celui de votre cercle de relations le plus étroit. »

C’est la force d’une idéologie du Mal, quand elle rencontre son temps, que d’être capable de récupérer, en les caricaturant, quelques éléments des idéologies du Bien. Ce n’est pas la première fois que cela advient : le bonapartisme a récupéré la pensée des Lumières. Et le fascisme, celle de la social-démocratie. Ainsi, sans le savoir, les créateurs ­publicitaires et les maîtres en bouddhisme d’aujourd’hui sont-ils les alliés involontaires des démagogues populistes.

Ils le sont parce qu’ils oublient trop souvent, soucieux de plaire au plus vite à leurs clients, que le capitalisme et le bouddhisme ne sont rien s’ils ne s’inscrivent pas d’abord dans des éthiques au service des générations suivantes ; et que, pour l’un comme pour l’autre, l’altruisme est la forme la plus intelligente de l’égoïsme.

Cette dernière phrase devrait suffire, si elle est bien comprise et largement diffusée, à renvoyer le populisme dans le néant, dont il n’aurait jamais dû sortir. Encore faudrait-il pour cela avoir le courage de combattre, où qu’ils se ­cachent, tous ceux dont le « moi d’abord » résume l’idéal, et de comprendre qu’il n’y a pas d’épanouissement personnel qui ne passe par la prise de conscience des nécessités de l’épanouissement des autres.