Un grand débat politique commence en France, sur mille et une questions, qui semblent toutes plus importantes les unes que les autres. Il est vrai qu’elles traitent de grands sujets qui occupent les médias et animent les défilés : le pouvoir d’achat, la fiscalité, l’environnement, les règles de participation démocratique, les services publics, la santé.

Il est cependant stupéfiant, affligeant, intolérable que, dans cette liste, jusqu’à présent, personne n’a mentionné le moindre sujet culturel ! Comme si la culture n’était pas un sujet pour la nation. Comme si tout allait bien. Comme si la population française avait accès à toute la culture dont elle pouvait ressentir le besoin.

A moins qu’on puisse faire, au contraire, de cette lacune une interprétation radicalement inverse, et infiniment plus triste : la culture n’est pas un sujet de débat parce que tout le monde s’en moque ; parce que personne ne la réclame sinon ceux qui, grâce à leur environnement social, l’ont déjà , et ne sont pas en situation d’en manquer.

De fait, la culture n’est pas comme la nourriture : quand on en est privé, quand tout est fait pour en éloigner, on n’en ressent pas naturellement le besoin ; c’est quand on commence à y avoir accès qu’elle devient indispensable. Or, aujourd’hui, tout semble fait pour que nul n’en ressente le besoin. Parce qu’on est submergé par bien d’autres sollicitations : les heures passées sur les réseaux sociaux sont volées à la littérature, aux expositions, aux concerts, au partage de ces émotions avec d’autres. Et plus encore à la pratique d’une activité artistique.

Or, pourtant, si on veut bien y réfléchir, rien n’est plus important que la culture ; celle qu’on acquiert par la curiosité personnelle, par les sollicitations des parents, des professeurs et des amis. C’est cette culture qui permet de comprendre le monde, de savoir ce qu’est le beau, l’audace, la créativité, l’émotion. C’est par la fréquentation des chefs d’œuvre (et accessoirement par l’éducation artistique) qu’on peut commencer à penser à réussir sa vie. C’est par l’accès à cette culture que s’ouvrent aussi, en fait, toutes les portes de la réussite économique et sociale. Bien plus que par la modification d’un taux de TVA ou même que par le bouleversement des programmes scolaires.

Osons le dire : aucune réforme qui ne se donne pas comme but ultime d’aider chacun à avoir un accès égal à la culture, à ce que j’appelle les « chemins de l’essentiel », ne peut prétendre servir la démocratie, la justice sociale, la liberté, la responsabilité, ni contribuer à créer une nation capable de défendre son identité et de la faire rayonner. Aucune solution au problème du chômage, de la justice sociale, de l’environnement même n’est possible sans une action sur la culture. Aucune réforme n’est plus importante que de trouver une façon de faire découvrir à tous et à chacun le plaisir infini de lire, de réciter des poèmes, de dessiner, de jouer d’un instrument de musique. Aucune ne pourrait mieux répondre à la désespérance sociale qui se manifeste dans toutes les grandes démocraties.

Alors, il serait bon de remplacer toutes les questions posées pour le grand débat qui commence par une seule, subversive parce que très simple : « Comment ouvrir à chaque habitant de la France un égal accès à toutes les formes de la culture ? »

Tout le reste en découle.

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