Quelle étrange idée que de donner des noms de Présidents de la République à des musées ou à des bâtiments publics ! Qu’on attribue leurs noms à des rues ou des avenues est normal. Qu’on affuble de leurs patronymes des aéroports correspond à une règle internationale assez reconnue, tant dans les démocraties que les dictatures. Mais qu’on baptise ainsi des musées ou des bibliothèques est beaucoup plus rare, sauf en cas de dictature : Il n’y a pas de musée Churchill, Roosevelt, Bush, Clinton, Obama. Et le nom de dirigeants étrangers ne sont en général accolés qu’à des fondations valorisant leur action au pouvoir ou, (dans des cas plus rares, comme pour le président Carter), à des fondations d’intérêt général. Et, dans le cas de dictature, ces noms sont effacés à la première révolution venue.
Par contre, en France, nommer d’un nom de président des institutions culturelles est une pratique désormais bien ancrée : il existe un musée Pompidou et une bibliothèque Francois Mitterrand. Il y aura un jour, chacun le sait, un musée Giscard d’Estaing (aujourd’hui musée d’Orsay) et il existe un musée presque Jacques Chirac (puisqu’il se nomme encore aussi Musée des Arts Premiers du Quai Branly). Même s’il y aurait beaucoup à dire sur le rôle des uns et des autres présidents dans ces projets, tous inspirés en réalité par d’autres (on pourrait citer Pierre Boulez, Françoise Cachin, ou Jacques Kerchache). Il n’empêche : En France, tout renvoie au pouvoir suprême. Il existe aussi des musées portant le nom de certains de ces présidents, et stockant les cadeaux reçus durant leur présidence.
Il n’y aura pas de musée Nicolas Sarkozy, ni de bibliothèque Francois Hollande. Ces présidents ne l’ont pas souhaité, sentant que l’opinion ne le désirait pas. De plus, n’ayant exercé qu’un seul mandat, de cinq ans, ils n’ont pas eu le temps de lancer un projet sans qu’un successeur ne le remette en cause : sans la réélection de Francois Mitterrand, il n’y aurait pas aujourd’hui de Grand Louvre.
Autrement dit, on ne nomme du nom d’un prince que lorsque celui-ci à eu le temps de s’installer dans l’histoire et que sa trace est assez fréquentable pour que son nom ne soit pas effacé par ses successeurs.
Sans oublier un point crucial : ceux qui nomment sont ceux qui financent et la plupart des établissements ainsi nommés n’auraient pas existé si les princes dont ils portent le nom ne s’était assuré de leur financement.
Dans un monde où le pouvoir bascule du politique à l’argent, on voit apparaitre, en France et en Europe après les Etats-Unis, des musées portant le nom de leurs mécènes (ou des marques qu’ils possèdent quand leur nom n’est pas lui-même leur marque principale).
Plus encore : comme on voit des stades porter des noms de marques, pour une période d’un contrat on risque de voir des musées porter des noms de marques pendant quelques années, puis changer de nom au rythme des sponsors. Sans doute n’aura-t-on jamais un musée du Louvre -SFR. Mais peut être aura-t-on bientôt, pour une décennie ou moins, un musée Jacquemart André -Engie, ou une bibliothèque de l’Arsenal-Hachette ou un opéra-Vivendi
Si cela permet aux établissements culturels de nos territoires, trop souvent si tragiquement délaissés, de retrouver leur lustre d’antan et les moyens de projets d’avenir, sans interférer avec la programmation ou l’accrochage, il faut l’accepter sans réserve. Après tout, les mécènes religieux ont dans le passé, sans le savoir, financé bien des chefs d’œuvre intemporels, dont on a oublié l’origine du financement, pour ne retenir que le génie. Naturellement, personne ne doit être dupe d’un éventuel « art washing », comme il existe un « green washing », quand des firmes prétendent masquer leurs turpitudes diverses en finançant des projets écologiques.
Je veux parier que le propre de l’art, c’est justement de transcender son financement, pour le berner et n’en faire qu’à sa tête. Pour le plus grand bonheur de l’humanité.

j@attali.com