Le ministère italien des affaires étrangères vient de prendre l’initiative d’exposer les œuvres d’art achetées par le ministère depuis vingt ans. Parmi ces toiles, ou ces sculptures, des merveilles et des œuvres plus discutables. En tout cas, une démarche courageuse, qui rend compte de vingt ans de choix.

En France, les ambassades sont elles aussi meublées par des œuvres d’art. Elles viennent du Mobilier National, des CNAP (Centre National des Arts Plastiques), et de choix faits par les décorateurs et les architectes du ministère. Il serait temps de faire le point sur ces achats. Non seulement de savoir si, comme on peut le craindre, beaucoup ont disparu, mais aussi pour savoir si les achats furent faits avec discernement.

On aimerait par exemple savoir si le Mobilier National a acheté une ou plusieurs toiles de futurs grands maîtres, quand ils étaient débutants et avaient besoin d’aide. Ou si on a seulement attendu que Balthus, Soulages, et bien d’autres, soient immensément célèbres pour les solliciter.

Pour avoir eu le privilège de visiter beaucoup de nos ambassades, je ne garde pas le souvenir d’y avoir jamais vu beaucoup de chefs d’œuvre (sauf à Rome, et dans quelques autres rares résidences de France).

D’autres lieux plus ou moins publics exposent aussi des chefs d’œuvre : les ministères, les préfectures, et autres lieux publics. Là encore, on aimerait savoir pourquoi on y voit tant d’œuvres mineures, pour ne pas dire pire, quand tant de chefs d’œuvres dorment dans les réserves.

L’aéroport CDG a pris dans ce sens une initiative louable, en exposant quelques chefs d’œuvre de nos musées ; sinon qu’ils sont cantonnés dans la partie de l’aéroport la plus isolée, celle qui donne accès, après tous les contrôles de police, aux vols en partance pour les destinations les plus lointaines. Certaines FRAC (Fonds Régionaux d’Art Contemporain) font aussi des merveilles, avec peu de moyens.

Plus généralement, il sera temps de faire un examen radical des achats publics en matière d’art. Ils sont le fait de diverses instances, du CNAP au Mobilier National, des divers musées à la commission des dations, des villes aux fondations. Leur action est essentielle à l’accumulation de trésors dans le patrimoine public et à la survie de très nombreux métiers d’art, de l’ébénisterie à la ferronnerie en passant par la passementerie, la tapisserie, l’orfèvrerie et bien d’autres.

Pourtant, on ne sait rien ou presque de ce qui s’accumule dans leurs réserves ; et on n’a pas, depuis longtemps, une idée claire des critères de décisions des commissions d’acquisition. Bien sûr, on ne peut exiger des acheteurs publics qu’ils ne se trompent jamais, ni qu’ils ne cèdent pas à des modes. Mais on ne peut exclure que bien des œuvres ainsi accumulées ne valent rien.

Il serait peut-être temps cependant de donner plus de pouvoir aux citoyens pour acheter des œuvres (comme dans l’opération « Embellir Paris »), de savoir vraiment ce qui dort dans les réserves des Musées et des Fonds Régionaux et d’en faire sortir mille et un chefs d’œuvres, pour les exposer dans nos ambassades, nos gares, nos aéroports, nos hôpitaux, nos écoles, nos universités, nos lieux publics. On en conclura sans doute que, à budget constant, il faut moins acheter et plus exposer. Pour le plus grand plaisir des spectateurs, et le plus grand rayonnement des artistes.

Mon éditorial du Journal des Arts
Oeuvre en couverture : Jannis Kounellis, Senza titolo, 2001

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