Rien n’est plus égoïste, en principe, que les vacances. C’est le moment où ceux qui ont les moyens d’en prendre, lâchent prise, s’occupent enfin d’eux-mêmes, et oublient les contraintes de la vie quotidienne, du travail, des transports en commun, de l’école, du bureau, de la hiérarchie, de la compétition, des angoisses du travail, de l’usine ou des champs.

Les vacanciers oublient d’autant plus ces contraintes hivernales et laborieuses qu’ils s’éloignent à ce moment de chez eux et de ceux de leurs collègues ou proches qui pourraient juger leurs comportements : Il est bien plus facile d’être impoli, vulgaire, injurieux, hautain avec des inconnus qu’on ne reverra jamais qu’avec des proches ou des collègues qu’on croisera le lendemain.

Il n’est donc pas étonnant de constater que les vacanciers respectent moins les plages, les campings, les routes, les locations, que leurs domiciles et leurs lieux de travail : on pollue plus hors de chez soi.

De même, on est moins vigilant, moins attentif aux autres quand on est en vacances. On fait plus de bruit dans un restaurant lointain que dans son quartier. On respecte moins les limitations de vitesse à mille kilomètres de chez soi que dans sa ville.

On s’intéresse aussi moins aux autres, tout occupé qu’on est à profiter de chaque instant. Je ne serai pas étonné si des statistiques démontraient un jour que la générosité à l’égard des grandes causes est moins grande en été qu’en hiver. Ni que l’été ne soit le moment de la moindre civilité à l’égard des voisins de passage, et des personnes en charge de servir dans les hôtels, les campings, les restaurants, les clubs de sport, les boîtes de nuit, les moyens de transport.

Et pourtant, cela devrait être l’inverse. Les vacances devraient, pourraient, être, pour chacun, le moment où on renonce à la compétition, à la concurrence, aux coups bas ; le moment où on est détendu, libéré, à l’écoute, en éveil, dans une curiosité renouvelée pour les lieux et les gens, inconnus, et dont on attend, ou ne craint, rien. Le temps où on peut faire l’expérience, mieux qu’à un autre moment, de rendre service, de partager, d’accueillir, d’écouter, d’aider, de comprendre, de manifester de l’empathie pour ceux qui travaillent au succès de nos vacances ; et aussi, et peut être surtout, pour ceux qui n’ont pas les moyens d’en prendre ; en partageant avec eux le peu (ou le beaucoup) qu’on peut avoir.

Si on le faisait, ne serait-ce qu’à peine, pendant la pause estivale, on pourrait y prendre goût, et, au sortir d’un été altruiste, on se rendrait compte qu’on y a pris du plaisir, et que, même, cela fut plus efficace : on est servi plus rapidement dans un restaurant si on y est aimable ; on découvre beaucoup mieux un pays en parlant avec respect aux gens qu’on y rencontre, en toute capacité.

Les plus grands bonheurs d’une vie, les émotions les plus fortes, sont dans ces rencontres de hasard, faites pour la plupart en vacances, sans rien attendre de l’autre, sauf de prendre plaisir à faire plaisir. Sans qu’on s’en rende compte, elles structurent même un regard sur le monde ; qui peut se transformer, si on l’a bien conduit, en un amour pour l’humanité, si essentiel à sa survie.

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