Nous sommes tous multiples : parents, citoyen, consommateur, salarié, et bien d’autres choses. Dans ces différentes dimensions, chacun commence à prendre conscience de l’impact de son comportement sur les autres et le monde : les consommateurs vérifient de plus en plus l’origine et l’impact environnemental des produits qu’ils achètent ; les salariés s’intéressent de plus en plus à l’impact des entreprises où ils travaillent ; les citoyens sont de plus en plus préoccupés par les conséquences environnementales des décisions publiques ; les parents, plus que tous les autres, ont, ou devraient avoir, conscience de l’impact de leurs décisions sur l’avenir de leurs enfants, et sur le monde qu’ils leur laisseront.

Une dimension de nous-mêmes reste, pour l’instant, peu concernée par cette prise de conscience : l’épargnant.

Presque personne en effet ne se pose la question de savoir ce que sa banque fait de l’argent qu’il y dépose. Et pourtant, c’est avec cet argent que sont financés les produits que nous consommons, les entreprises où nous travaillons, et l’ensemble des investissements publics. Si on veut véritablement changer notre modèle de société, si on veut que les enjeux du climat soient vraiment pris en compte, il faudrait donc surveiller de près l’usage que les banques font de notre épargne.

Et ce n’est pas simple : On ne peut en effet suivre, comme on le fait désormais pour certains produits alimentaires, la trace de l’argent déposé jusqu’à son usage final, parce que tout dépôt bancaire est regroupé avec d’autres dans un ensemble dont la banque fait ensuite un usage soit direct (un prêt pour un logement, une voiture, ou une machine) ou spécule pour compte propre avec cet argent, ou s’en sert pour acheter des tranches de ces crédits regroupés des paquets complexes, (des produits titrisés eux même proposés par des fonds de dettes, véhicules financiers autorisés à faire le métier de banque sans obéir aux réglementations qui s’imposent à elles) ; en superposant ensuite un crédit sur ces paquets pour en améliorer la rentabilité, d’une façon extrêmement spéculative. Ces montages mobilisent des ressources de plus en plus gigantesques, qui dépassent désormais de loin ce que font les banques proprement dites.

Avant de pouvoir développer un jour des applications digitales permettant de tracer le trajet de chaque euro déposé dans une institution financière jusqu’à son usage final et son impact, on pourrait au moins demander aux institutions financières, banques ou non, de déclarer leur emploi des fonds reçus, et en particulier de mesurer les émissions de gaz à effet de serre dus aux activités qu’elles financent. Cela permettrait au moins à chaque épargnant de connaître l’impact climatique de l’institution qui gère son épargne.

On pourrait alors espérer que les épargnants changeront de dépositaire de leur argent, si la réponse ne les satisfait pas. Certes, à la différence de ce qui se passe pour les consommateurs et les électeurs, si peu loyaux, cela n’aura pas d’impact immédiat : déplacer son compte bancaire semble aujourd’hui une tâche herculéenne, même si, dans de nombreux pays, la loi oblige les banques à faciliter les transferts de comptes, et en particulier les transferts de prélèvements automatiques. Cela viendra, avec les nouvelles technologies, qui permettent désormais de créer et de clore très aisément des comptes bancaires dans des banques en ligne, où le suivi de l’argent sera plus facile.

A un moment où les banques sont très menacées, en particulier en Europe, par leur nombre excessif, leur trop grand nombre d’agences et la concurrence des nouveaux acteurs de gestion de l’épargne, il est urgent pour elles de fournir ce genre de services à leurs clients, si elles veulent les garder.

Le même raisonnement s’appliquera sans rien y changer aux compagnies d’assurances, qui auront bientôt à rendre des comptes sur l’impact environnemental, social et politique, des placements qu’elles font des primes reçues. Le marché des actions suivra.

Cette transparence s’imposera. Soit par la seule pression des épargnants, soit parce que les régulateurs exigeront de connaitre au moins l’impact écologique et social des acteurs des marchés financiers.

Seule une telle responsabilisation des épargnants sera assez puissante pour convaincre les entreprises de produire d’une façon durable.

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