En cette fin d’année, je voudrais dire ma colère. Tant de sujets la justifient : le milliard de gens qui s’endorment tous les soirs en ayant faim ; les deux milliards de personnes qui manquent d’eau ; les femmes violées, excisées, battues ; les jeunes au chômage, les richesses obscènes, les guerres injustes, les sans-abris, l’incompétence et la mauvaise foi de certains journalistes‎, la médiocrité de tant d’hommes politiques, la procrastination des gouvernants qui ont laissé passer, en particulier en France, tant d’occasions de prendre des décisions courageuses et de réformer leur pays.

Et pourtant, aujourd’hui, j’aimerais concentrer ma colère sur un autre sujet : la dénonciation des élites, tellement à la mode aujourd’hui que le mot lui-même est devenu une insulte, et qu’il est même de bon ton de se défendre d’en faire partie.

J’en ai assez de voir mis dans le même sac les riches, les puissants, les élus, les journalistes, les professeurs, les intellectuels, et tous ceux qui « savent ».

Il est honteux et dangereux de les mêler dans le même opprobre. Qu’on puisse critiquer l’action des riches et des puissants, qu’ils le soient par l’argent ou le mandat, est légitime.

Par contre, qu’on critique ceux qui ne doivent leur statut qu’à leurs diplômes ou à leurs œuvres est inacceptable. Il faudrait au contraire glorifier le savoir et les diplômes, admirer ceux qui les obtiennent et les prendre en modèle. Il faudrait admirer ceux qui font de longues études, applaudir ceux qui créent des œuvres d’art ou des entreprises, les artisans qui façonnent des objets, et qui, sans nuire à personne, ont un impact positif sur le monde. Même si, accessoirement, ils s’enrichissent.

A dénigrer ainsi l’excellence, on n’encourage pas les plus jeunes à étudier, à augmenter leur niveau de savoir. On ne valorise que l’aplomb et le culot. ‎On n’écoute que ceux qui crient fort, qui font scandale. On ne s’intéresse qu’à ceux qui ne dérangent qu’en apparence, et qui n’ont aucun impact sur le monde.

Les pays qui agissent ainsi se condamnent au déclin, face à ceux qui font de la réussite scolaire, de la création, de l’innovation, une obsession. Et qui, en conséquence, mettent en place des moyens pour que tous puissent y avoir accès.

Ceux qui discréditent ainsi les vraies élites sont, pour la plupart, en Occident. Ceux qui idolâtrent les gens qui font tout pour mériter d’en faire partie sont essentiellement en Asie.

En France, particulièrement, on assiste, dans bien des médias et des partis politiques, à un tel dévoiement. Et ceux qui devraient résister, parce qu’ils ont travaillé pour cela, se couchent trop souvent devant cette démagogie. Elle domine sur les réseaux sociaux, où l’apologie de la médiocrité est le corollaire naturel de l’anonymat. Elle triomphe dans les médias. Elle sert de critère de vrai dans bien des partis politiques : plus on a de diplômes, plus on est suspect, accusé de faire partie d’une « élite autoproclamée, cosmopolite et mondialiste », et donc discréditée.

Alors, je veux faire ici l’éloge de cette élite-là. De ceux qui se sentent des êtres humains avides de savoir et de créer avant d’être les produits d’un terroir, qui considèrent que les diplômes acquis, qui les placent dans une élite démocratique, leur donnent le devoir d’être utiles à ceux qui n’ont pu y parvenir. De ceux qui font tout pour « devenir soi », pour se trouver, pour se respecter et trouver ce en quoi ils sont uniques. De ceux qui aident les autres à faire partie de cette élite légitime, en décloisonnant les voies d’accès à l’excellence universitaire, trop souvent réservées aux enfants de cette même élite. Il n’est rien de moins « autoproclamé » que ceux qui ont travaillé dur pour obtenir des diplômes.

J’aimerais tant que notre pays retrouve son rang dans l’élite des nations, élite du savoir, des innovations, de la recherche, de la création, de la mobilité sociale, de la justice. Car, en fin de compte, seul le savoir nous incitera à la tolérance et à l’humilité, et nous protégera peut-être de la barbarie.