Il est fascinant de voir la place considérable que les médias français ont consacrée au remaniement ministériel annoncé dimanche. Pourtant, à l’échelle de l’histoire, même immédiate, il ne restera bientôt rien de ce non-événement, sinon pour les intéressés, aux ambitions déçues ou récompensées.

Le même jour, à Wuhan, en Chine, Indiens, Chinois et Russes se réunissaient pour décider d’une stratégie d’alliance à long terme. Le même jour, les Chinois laissaient entendre que le sommet du G20 ne changeait rien à leur stratégie monétaire. Le même jour, aux Etats-Unis, M. Greenspan annonça que si la dette publique américaine n’était pas rapidement réduite, les taux d’intérêt ne pourraient que monter et que personne ne financerait plus le déficit américain. Le même jour, l’Irlande était considérée en cessation de paiement, le Premier ministre grec évoquait un étalement du remboursement de la dette publique hellène, les Portugais parlaient de sortir de l’euro et les Espagnols ne discutaient que du risque de contagion, pour eux, d’une telle crise. Les uns et les autres, en Europe, commençaient même à se demander si la solution n’était pas dans un gouvernement d’union nationale.

Demain, la semaine prochaine, le mois prochain, la France sera prise dans ces mêmes tempêtes. Elle en sera étonnée. Parce qu’on lui en aura caché la nature et l’ampleur. On comprendra alors que, pendant que le bateau était menacé par mille et un icebergs, le commandant établissait le plan de table de son dîner.Pour éviter cette accusation, qui lui serait fatale dans dix-huit mois, il doit, avec son gouvernement, adopter un tout autre langage et un tout autre comportement.

Il doit :

1. Cesser de dire que la crise est finie, que la croissance est au coin de la rue ; il doit cesser de se contenter de la moindre moins mauvaise nouvelle pour crier victoire, reconnaître que bien des moments difficiles sont encore devant nous. Et expliquer les risques contradictoires de l’excès de dettes et de la déflation, de la faillite des banques et de leurs excès de profits.

2. Annoncer qu’il faut se lancer dans des réformes profondes, qui n’auront pas d’effet avant dix ans. Pas seulement celle, presque anecdotique au regard des enjeux, du financement de la dépendance, dont on parle tant, mais celles, beaucoup plus importantes, dont tout dépend : la fiscalité, l’école primaire, la formation des chômeurs et la reprise en main des grands secteurs de l’industrie.

3. Reconnaître qu’il faut, pour mener à bien ces réformes, au contraire de ce qui est dit par tous les gouvernements depuis vingt ans, plus d’Etat et non pas moins d’Etat. Plus d’industrie et non pas plus de services. Plus d’impôt et non pas moins d’impôt.

Tout cela ne sera pas simple. Tout cela aura lieu. La seule question est de savoir si cela aura lieu après une grande crise ou à la place d’un vaste traumatisme politique et social.

Bien sur, la France est riche et puissante et elle y résistera. Mais dans quel état en sortira-t-lle si elle n’y est pas préparée ?

Un remaniement, une déclaration présidentielle, un discours de politique générale pourraient constituer de bonnes occasions de dire tout cela simplement, à froid, avant qu’il ne soit trop tard.