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Dessinateur en électricité et électronique, agent qualifié de traitement thermique et de surface, mécanicien et électronicien de véhicules, aide à domicile, aide-ménagère, vétérinaire, charpentier, couvreur, régleur, géomètre, carrossier automobile, mineur, travailleur à la chaine, ouvrier du bâtiment, éboueur, employé de voirie, personnel de restaurant et d’hôtel, infirmière, médecin, livreur, ouvrier agricole, épicier. Voici une liste non exhaustive des métiers pour lesquels il n’existe pas, aujourd’hui, en France, assez de gens compétents pour les exercer. De métiers tout à fait essentiels pour la survie même de la nation.  A côté de cela, nous avons plus de trois millions de chômeurs, en fait pas loin de cinq.

On trouve le même fossé entre l’offre et la demande dans tous les pays développés. Pour y répondre, la priorité de bon sens, depuis des décennies, serait de réduire les incitations à rester au chômage quand il existe des métiers correspondant à ses compétences, et d’organiser un très vaste programme de formation de ces chômeurs à ces métiers, si leur niveau de qualification initiale le permet. On ne l’a jamais fait. On ne le fait pas encore. Parce que c’est très compliqué de rendre dissuasive la réduction progressive des allocations chômages sans être socialement injuste, parce qu’il existe bien des façons de contourner ces garde-fous, et parce que la formation des chômeurs est encore un désastre dans la société française, qui a toujours préféré, malgré quelques améliorations récentes, former ceux qui travaillent déjà, avec l’argent venu d’entreprises qui pensent ne pas avoir d’intérêt direct à la formation des chômeurs.

Il ne reste donc, pour remplir beaucoup de ces fonctions, pas d’autres solutions que d’aller chercher des étrangers, européens ou non. Mais faut-il vraiment faire venir ces étrangers, qui vont ensuite rester, faire venir leur famille par le regroupement familial ou comme étudiants ? Faut-il ainsi prendre le risque, proclament certains, d’une invasion étrangère qui ferait disparaitre l’identité nationale ?

Tous ces sujets mériteraient d’être mis sur la table, au plus tôt, pour en finir avec les solutions simplistes et absurdes qu’on entend de plus en plus sans que nul ne les contredise sérieusement :

Veut-on supprimer les allocations chômages parce qu’il y aurait des passagers clandestins, qui préfèrent utiliser au maximum les droits sociaux attachés au chômage plutôt que rechercher sérieusement du travail ? Non bien sûr, ce serait trop injuste pour ceux qui recherchent vraiment, pendant des mois sinon des années, un emploi de leur niveau de compétences.

Veut-on accueillir moins d’étudiants étrangers en France ? Ce serait la mort de notre influence dans le monde, de nos réseaux commerciaux, culturels et politiques, et à terme, de la francophonie. Bien sûr, il faut s’assurer que ce sont de vrais étudiants, et de ne pas accueillir sans contrôle des étudiants redoublant leur cinquième première année de sociologie.

Veut-on interdire les regroupements familiaux ? Ce droit est pourtant devenu un principe sacrosaint du système juridique français depuis une décision du Conseil d’Etat de 1978, confirmée encore en janvier 2021, fondée sur « le droit à la vie familiale normale et à l’intérêt supérieur de l’enfant ». Aucun gouvernement, depuis, n’a jamais osé revenir sur ce principe fondamental du droit, reconnu maintenant internationalement, et qui, dès 1978, a changé la nature même de l’immigration, sans que cela soit vraiment clairement débattu.

Veut-on accueillir moins de travailleurs étrangers, pour éviter les regroupements familiaux ?   Mais alors, on doit en accepter les inévitables conséquences : une qualité plus basse des services fournis aux consommateurs, plus d’inflation, moins de croissance, et, à la fin, plus encore de chômage.

Veut-on accueillir moins de réfugiés, au mépris de toutes les conventions internationales que nous avons signées ?

La solution n’est donc pas simple et il faut sortir des caricatures. Ce sont des chantiers gigantesques, qui ne se réduisent pas à quelques anathèmes, ou quelques épouvantails, du genre « grand remplacement »,

À court terme, on n’a pas d’autre solution que d’accueillir, et même d’aller chercher, des étrangers compétents pour remplir les fonctions dont les Français d’aujourd’hui ne veulent pas, ou pour lesquelles ils ne sont pas compétents. Et d’accueillir leurs familles, sans lesquelles ils ne viendraient pas. Naturellement cela doit s’accompagner d’une politique d’intégration très impérieuse, même pour ceux qui n’ont pas le désir de devenir Français ; ils doivent vivre en français et selon les lois françaises aussi longtemps qu’ils sont en France, sous peine de voir remise en cause leur autorisation de séjour.

A long terme, les solutions passent par une augmentation massive des salaires dans les professions non pourvues, par une réforme radicale de l’éducation, pour former aux emplois du futur d’une façon aussi élevée, généraliste et permanente que possible ; par une automatisation à marche forcée des tâches , pour faire disparaitre les plus automatisables, dont plus aucun Français, ou même aucun occidental, ne voudra plus, au moins aux salaires actuels ; et par une politique familiale complétement repensée, pour permettre aux femmes et aux hommes de vouloir avoir et élever assez d’enfants pour que la nation se perpétue.

Et surtout : ne pas oublier, enfin, que le long terme suppose d’agir tout de suite.

j@attali.com