Permettez-moi, pour une fois, de prendre quelques distances avec l’actualité, au moins en apparence.

Chaque jour nous apporte des descriptions nouvelles, bouleversantes, de ce qu’est l’univers à quelques distances de nous. En particulier, tous les jours, le télescope spatial James Webb nous fait découvrir des galaxies nouvelles, d’une beauté stupéfiante, posant ainsi plus de questions qu’il n’apporte de réponses. Il vient par exemple de détecter des traces d’eau, de monoxyde de carbone et de dioxyde de souffre, dans une exoplanète, à peine à 70 millions d’années-lumière de nous. Cela n’est qu’un début. Car les mystères les plus fondamentaux de l’Univers restent entiers :

Pour n’en nommer que quelques-uns, que les spécialistes me pardonneront de simplifier ici :

  • On ne sait toujours rien sur la « matière noire », hypothèse nécessaire pour rendre compte de certaines observations sur les masses de galaxies et sur les fluctuations du flux cosmologique. Matière étonnante, qui n’interagit pas avec la matière ordinaire, ni avec les photons, alors que, selon le modèle qui la rend nécessaire, elle pèserait cinq fois plus que toute la matière ordinaire de l’univers. Existe-t-elle vraiment ou sera-t-elle un jour considérée comme une hypothèse aussi absurde que l’est aujourd’hui celle de l’éther, dont toutes les théories en physique ont eu besoin jusqu’à la découverte de la relativité restreinte ?
  • On ne sait toujours rien de la nature du temps. Est-ce une onde ? Est-ce de la matière ? Est-ce de l’espace ? Faut il distinguer le temps de la nature et celui de la conscience humaine ? Si le temps a un début, qu’existe-t-il avant le temps ? Et s’il n’a pas de commencement, qu’est-il ? et où est-il avant le Big Bang, qui est supposé marquer le commencement de l’univers ?
  • On ne sait toujours rien de la particule ultime, première, dont serait issues toutes les autres : Existe-t-elle vraiment ? Permettra-t-elle d’unifier les lois régissant les trois formes d’interaction connues, (électromagnétique, nucléaire faible, et nucléaire forte) et de les unifier avec celles de la quatrième (la gravitation) ? Peut-on penser qu’il existait, au début de l’univers, une ère pendant laquelle ces quatre forces fondamentales ne faisaient qu’une ? Qu’est ce qui, alors, les a différenciées ?
  • On ne sait toujours rien de la nature des lois qui gouvernent l’univers : si on arrive à en théoriser certaines, très simples comme celle de la gravitation, ou plus compliquées, comme celles des diverses formes de la relativité, ou plus incertaines comme celles des cordes, on ne sait rien de la plus vertigineuse des questions : ces lois de l’univers surgissent-elles toutes conçues, et immédiatement opérationnelles, dans le premier instant qui suit le Big Bang ? et dans ce cas-là, d’où viennent-elles ? D’un avant Big Bang ? D’univers préalables ou parallèles au nôtre ? Si ce n’est pas le cas, et que ces lois se forment avec le temps, après le Big Bang, comment expliquer qu’elles rendent si bien compte   de ce qui se passe juste après lui ? Et si elles évoluent depuis le Big Bang, pourraient-elles encore changer ? Pourrait-on un jour,  par exemple, ne plus être soumis aux lois de la gravitation, à celles de l’électromagnétisme ou des diverses formes de la relativité,   qui ordonnent les galaxies, les étoiles, les planètes, et plus prosaïquement la vie sur cette planète ?

Depuis l’aube des temps, des millions de pages ont été écrites par des savants, des philosophes, des religieux sur ces questions. Personne pour l’instant n’y a apporté de réponse. Et c’est dans cette énigme même que se réfugie la foi, que se déploie le discours philosophique, que se nourrit la recherche scientifique.

Aujourd’hui, trop peu de gens y consacrent leur vie. Trop peu de gens en parlent. Trop peu de gens l’enseignent. Trop peu d’enfants dans le monde apprennent que ces questions concernent  l’humanité toute entière, que nous avons tous, ensemble, à chercher des réponses communes, quelles que soient  nos croyances, sans nous contenter de phrases toutes faites, de paroles définitives, en acceptant d’être contredits par les faits, et  par les observations de la science. Sans jamais renoncer à progresser dans la recherche. Sans se résigner à ce que les réponses restent inconnaissables, parce qu’elles seraient inaccessibles à l’esprit humain. Avec l’humilité d’un Socrate qui disait : « je sais que je ne sais rien » ; avec l’impertinence d’un Montaigne qui ajoutait : « je ne sais même pas que je ne sais rien ». Que je complèterai volontiers par « Je ne renoncerai jamais à chercher à savoir ».

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Image : Van Gogh, La Nuit étoilée, 1889