Pas une minute sans qu’on n’entende désormais un homme politique, ou un dirigeant d’entreprise, affirmer la main sur le cœur que, naturellement, il ne travaille que dans l’intérêt des générations futures, qu’il n’a que l’environnement à l’esprit, qu’il veut améliorer le climat, supprimer les gaspillages, réduire l’utilisation des énergies fossiles, développer une finance durable. Ils le disent tous. Et très peu le font.

Et plus encore, aucun, ou presque, ne parle des générations futures elles-mêmes, c’est-à-dire prosaïquement des bébés, des enfants et des étudiants. A croire que les adultes qui s’inquiètent de l’évolution du climat ne s’intéressent en fait qu’à protéger leurs propres conditions de vie dans le futur.

Dans la plupart des pays du monde, même les plus développés, sauf quelques très rares exceptions, on ne s’occupe que très mal des plus jeunes. Même celles qui, parmi les sociétés les plus avancées, comme la société française, protègent les mères pendant le temps de leur maternité, bien des lacunes restent dans la protection de l’enfance, de l’adolescence, et des jeunes adultes :

Les enfants, de tous milieux, ne sont pas protégés comme ils devraient l’être des turpitudes des adultes ; ils ne sont pas protégés non plus contre les écrans, qui devraient leurs être interdits jusqu’à l’âge de six ans, alors qu’ils servent de plus en plus souvent de baby-sitter ; ceux des milieux les plus modestes n’ont pas accès à la même éducation que les autres, alors qu’ils devraient avoir plus de moyens pour rattraper ce que la famille ne leur apporte pas ; et ceux dont les familles ne sont même pas en situation de s’occuper d’eux sont abandonnés dans le néant des orphelinats. C’est pire encore, dans tout pays, pour les filles. Et en particulier dans les pays, beaucoup plus nombreux qu’on ne le croit, où l’éducation leur est interdite, formellement ou réellement.

Les adolescents des classes moyennes et des plus pauvres ne reçoivent pas non plus les moyens de se former, dont disposent les plus riches. Ils n’ont pas accès aux meilleurs enseignements ni réellement les moyens d’échapper, par leurs études, à la prédestination sociale, et de genre, qui s’impose à l’humanité depuis des millénaires, qui fait de l’éducation un simple moyen de reproduction des classes et des castes ; qui oriente vers le travail, ou des formations médiocres ceux qui n’ont pas la chance d’avoir des parents capables de les aider, de les conseiller, de leur offrir des cours privés.

Les jeunes adultes sont eux aussi laissés à l’abandon. Il est scandaleux, en particulier en France, que des centaines de milliers de jeunes adultes soient obligés de travailler pour financer des études qu’ils ne peuvent en réalité pas suivre correctement et qu’ils doivent dépendre de la charité pour se nourrir. Il est scandaleux que, en particulier en France, les bourses soient si faibles et qu’elles soient attribuées, même pour des étudiants de plus de 18 ans, en fonction du niveau de vie de parents. Un jeune adulte doit avoir les moyens décents d’étudier. Jusqu’à 25 ans.

On peut répondre à cela qu’une nation ne peut pas tout financer et qu’elle doit faire des choix. Ce sont bien ces choix que je critique : tout est fait, dans presque toutes les sociétés, d’une façon ou d’une autre, pour protéger le niveau de vie des personnes âgées (avec bien sûr des exceptions, même en France, où des retraités continuent d’avoir des revenus scandaleusement faibles).

Chacun de ceux qui décident sait qu’il sera un jour vieux. Il sait aussi qu’il ne sera plus jamais jeune. Aussi préfère-t-il, même inconsciemment, financer celui qu’il deviendra plutôt que celui qu’il a été.

Nos sociétés vont mourir de cela : si on ne met pas les nouvelles générations en situation de découvrir leurs talents, de les faire s’épanouir, on n’aura pas, dans vingt ou trente ans, les ingénieurs, les savants, les chercheurs, les entrepreneurs, les innovateurs, les paysans, les médecins, les journalistes, les avocats, sans lesquels même les générations actuellement au pouvoir, ne pourront pas vivre une retraite décente, ni financièrement, ni socialement, ni écologiquement, ni  démocratiquement. Ce serait donc, au moins, de leur intérêt bien compris que d’en faire une priorité.

Il est donc urgent de consacrer une part beaucoup plus importante du PIB  à l’éducation au sens le plus large, et d’utiliser les fabuleux progrès que permettraient les nouvelles technologies, si elles étaient utilisées dans un sens conforme à l’intérêt de l’avenir, et pas, pour endormir, par des drogues ludiques, les colères des plus jeunes.

j@attali.com

Tableau : Henri Jules Jean Geoffroy, Ecole maternelle, 1898