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Peu de gens veulent reconnaitre que la réélection d’Emmanuel Macron est loin d’être acquise, et que celle de Marine Le Pen est parfaitement possible. Pour au moins quatre raisons :

  1. Aucun président n’a été réélu sans cohabitation ou après un mandat de 5 ans ou s’il a été élu la première fois où il s’est présenté. Emmanuel Macron remplit ces trois conditions.
  2. Au moins deux candidats considérés comme élus d’avance, (Valéry Giscard d’Estaing et Lionel Jospin), ont été battus par surprise, c’est-à-dire par l’abstention de son camp.
  3. Après le dégagisme soft, dont Emmanuel Macron a bénéficié en 2017, peut venir le dégagisme hard, contre lui ; comme la Convention est venue après la Constituante. L’alliance de tous contre le sortant peut, encore une fois, jouer à plein.  Et réussir.
  4. Le discours de l’extrême droite n’est plus diabolisé. Alors qu’il y a cinq ans, Marine  Le Pen apparaissait comme une incompétente extrémiste, elle se pose aujourd’hui en experte   modérée ; plus acceptable, plus légitime, plus raisonnable qu’un Éric Zemmour, qui lui sert de repoussoir et attire vers elles des voix modérés.

Sans revenir sur les  frustrations,  les déceptions, les colères  qu’Emmanuel Macron et sa politique, ont pu  provoquer, il est temps d’affronter la réalité : Marine Le Pen peut être élue dans moins de quatre semaines.

Que  se passerait-il alors ?

La mise en œuvre de son programme plongerait le pays dans une crise sans précédent et largement irréversible, dont ses électeurs seraient les premières victimes.

Sur le pouvoir d’achat qu’elle dit défendre : elle annonce des dépenses sociales innombrables et très vagues,  une baisse massive de la TVA qui ne profiterait qu’aux riches,  une réforme  invraisemblable de l’impôt sur le revenu et des retraites, non financée, sinon par un vague emprunt   (alors qu’elle dénonce la dette publique) et par d’hypothétiques économies sur les prestations aux migrants. Tout cela provoquera en réalité une inflation dont les bas salaires et les petits épargnants seront les premières victimes.

Sur l’écologie : elle entend supprimer tous les projets d’éolien  et démanteler les éoliennes en service, ce qui  rendrait  encore plus difficile la maitrise des émissions de gaz à effet de serre visée pour 2040.

Sur les étrangers présents en France : elle entend leur retirer l’accès aux soins et aux allocations familiales et sociales, les empêcher de travailler, leur retirer la nationalité française. Non seulement   cela   violerait  plusieurs  principes constitutionnels  fondamentaux, mais cela rendrait vite impossible le fonctionnement de notre économie, transformerait en SDF des millions de gens aujourd’hui parfaitement intégrés, et priverait le pays de centaines de milliers de Français, nés en France, dont l’apport est inestimable. Par ailleurs, ne plus accueillir aucun autre étranger serait se priver de  médecins, de chercheurs, de  professeurs,  d’ingénieurs, d’artistes, dont nous avons tant besoin. Enfin, faire traiter   par nos ambassades  les demandes d’asile reviendrait, par exemple, à n’admettre des Ukrainiens que s’ils ont déposé une demande d’asile en bonne et due forme à notre ambassade à Kiev…

Sur la justice et la sécurité : là encore, son élection entrainerait des réformes  violant tous nos principes constitutionnels : ainsi, accorder aux policiers une présomption de légitime défense, et  contraindre les juges à prendre des sanctions pénales incompressibles serait renier la séparation des pouvoirs.

Sur la culture, qu’elle entend réduire à une vision étroite de la France, il faut en particulier s’inquiéter de son projet de privatiser de l’audiovisuel public, qui  laisse augurer d’une main mise par ses amis hongrois et russe.

Sur l’Europe : diminuer unilatéralement la contribution de la France au budget européen et affirmer la primauté  du droit national sur le droit européen, comme elle entend le faire dès le mois de Juin, reviendrait à remettre en cause  l’appartenance de la France à l’Union Européenne. Répétons le ici : élire Madame Le Pen, ce serait  sortir de l’Union Européenne, sans l’avoir vraiment décidé. Ce serait  un Fréxit sans débat.

Enfin,  ce  serait  mettre nos armées et la politique étrangère du pays entre les mains d’une personne  dont les seuls alliés  dans le monde  sont Messieurs Orban et Poutine. Autrement dit, si Madame Le Pen est élue dans moins d’un mois, on assistera immédiatement à un renversement des alliances : notre pays s’allierait à la Russie contre l’Ukraine, contre  le reste de l’Union Européenne et contre  l’OTAN.

Pensez-y, avant de jouer avec l’idée que, après tout, cinq ans de Macron ça suffit. Reprochez surtout aux anciens grands partis de ne pas avoir été capables de faire émerger des programmes et des candidats dignes de notre grand pays et du grand débat qu’aurait dû être cette élection présidentielle.  Et  écartons la tentation du pire.

j@attali.com