Chacun sait, ou croit savoir, que les bonnes nouvelles ne méritent pas qu’on en parle. Et des mauvaises, on n’en manque pas, ni nationalement, ni internationalement. Aussi, peut-on comprendre que, noyés par ces déluges d’informations et de prévisions cataclysmiques, les gens, et en particulier les plus jeunes, se laissent aller à une résignation   devant la fin inéluctable de l’humanité, que nous prépareraient à la fois la démesure d’un capitalisme destructeur et la folie de dictateurs prêts à tout pour rester au pouvoir.

Pourtant, le monde et l’Histoire ne se réduisent pas à cela : il y a, en ce moment même, dans les laboratoires de recherche, les associations, les entreprises, les universités, de formidables découvertes, d’extraordinaires succès, dont on ne parle pas du tout et qu’on ne fait rien pour promouvoir et généraliser au plus vite.

Par exemple, pour ne prendre que quelques nouvelles des quinze derniers jours :

Deux progrès médicaux : deux compagnies l’une américaine et l’autre japonaise ont développé ensemble un médicament qui ralentit significativement (de 30%) les progrès de la maladie d’Alzheimer prise à ses débuts ; et des scientifiques indiens ont développé un nouveau vaccin contre certaines tumeurs cervicales à la fois très efficace et peu coûteux.

Deux avancées sociales : aux Etats-Unis, après avoir beaucoup augmenté, la pauvreté enfantine se réduit ; et en Grande Bretagne, les nombreuses entreprises qui ont expérimenté la semaine de quatre jours la généralisent, après avoir constaté ses effets positifs sur la qualité de vie des employés et la rentabilité du capital.

Deux bonnes nouvelles écologiques : En Australie Occidentale, on a commencé à récolter une algue très efficace pour l’élimination du méthane ; et on a découvert que deux enzymes trouvées dans la salive de certains vers peuvent détruire très efficacement les polyéthylènes, ouvrant la voie à une révolution dans la lutte contre la pollution par les déchets plastiques.

Et ce ne sont là que quelques exemples parmi d’autres, passés presque totalement inaperçus.

Si l’on veut bien prendre un peu de recul sur l’état du monde, à côté des monstres  occupant le devant de la scène, qui renvoient aux dimensions les plus moyenâgeuses de l’humanité, et à coté de magnifiques rebelles qui meurent chaque jour pour que la démocratie l’emporte, existent aussi des chercheurs, ingénieurs, administrateurs, entrepreneurs, qui inventent tous les jours des moyens pour qu’on fasse un usage libre, juste et durable des formidables potentialités du savoir.

Si on les glorifiait d’avantage, si nos systèmes d’éducation valorisaient beaucoup plus les études scientifiques, si on mettait toutes les écoles, les collèges, les lycées, les universités du monde en réseau, pour que tous ceux qui étudient et cherchent travaillent ensemble sur les mêmes problèmes, on pourrait gagner les multiples courses de vitesse dans lesquelles est engagée l’humanité.

Par exemple, on pourrait imaginer que, dans tous les lycées et universités du monde, on propose aux élèves des sections scientifiques de travailler tous pendant un an sur un même projet, et de mettre en commun ce qu’ils trouveraient. Des projets simples et utiles : comment éliminer le gaspillage du textile ? Comment réutiliser les eaux usées ? Comment nettoyer les sols ? Comment organiser efficacement la reforestation ? Comment fabriquer, avec des imprimantes 3D, des prothèses pour handicapés, ou des meubles pour les écoles, ou des instruments chirurgicaux ?  Comment utiliser les propriétés de telle plante ou de tel insecte d’un des coins les plus reculés du monde pour résoudre des problèmes qui se posent tout à fait ailleurs ? Et aussi : comment développer une agriculture saine ? Comment donner à chacun les moyens d’apprendre ? Comment faire connaitre et généraliser une méthode pédagogique qui s’est révélée efficace ?

Même si les systèmes scolaires du monde sont en général (et en particulier en France) dans une situation désastreuse, et que le pire est devant nous en la matière, il n’y a jamais eu sur la planète autant d’ingénieurs, et plus encore d’élèves ingénieurs. Jamais autant de chercheurs et de doctorants.  Il n’y a jamais eu non plus autant de moyens de les faire échanger, coopérer, travailler ensemble sur des projets communs. Dans certains domaines, en médecine en particulier, cette intelligence collective commence à exister, sans que personne n’ait pensé à l’organiser. Si on voulait bien s’en occuper, on pourrait, avant d’être emporté par un tsunami de malheurs, mettre en place un véritable déluge de bonnes nouvelles.

 

j@attali.com

 

Peinture : Joseph Wright of Derby, Expérience sur un oiseau avec une pompe à air, 1768