Les enjeux et les menaces qui sont devant nous, chacun le sait, chacun le dit, sont planétaires et gigantesques. Et les réponses ? Elles balbutient. Timides. Locales. Utiles. Nécessaires. Encourageantes. Mais pas à la hauteur des enjeux.

Dans le passé, l’humanité a su penser grand. Et, souvent, aussi, utile ; avec de très grands projets dont nous bénéficions encore aujourd’hui : l’Empire Romain a lancé d’immenses grands travaux à travers l’Europe, dont certains sont encore utilisés. Au 18ème siècle, les Provinces Unies ont réagi aux menaces d’inondations par de très grands barrages et qui ont assuré leur survie, participé à leur suprématie mondiale pendant deux siècles et à leur puissance d’aujourd’hui. Les Anglais ont, au 19ème siècle, construit des routes, des canaux, un réseau de chemin de fer et le métro de Londres, qui ont assuré leur puissance impériale. Les Etats-Unis ont lancé aussi d’immenses projets, de la Tennessee Valley Autorithy à la conquête de la lune. La France, (après avoir construit au 19ème siècle le Canal de Suez, pour le grand bénéfice des Anglais), a lancé aussi, dans la deuxième moitié du vingtième siècle, de grands projets dont nous bénéficions encore aujourd’hui, depuis le programme d’énergie nucléaire civile jusqu’à la rénovation du Musée du Louvre, (devenu le premier du monde), en passant par l’aménagement du Languedoc.

L’Histoire nous apprend que ce sont les pays qui ont, par leurs très grands travaux, visé le plus loin et le plus haut, qui ont les meilleurs résultats économiques et politiques.

Et aujourd’hui ? Y a-t-il de très grands projets ? Certains pays en lancent, tels Neom en Arabie Saoudite, (dont The Line, ville en ligne bardée de miroirs, sur 120 kilomètres de long et 200 mètres de large, qui fonctionnera sans voitures et sans énergie fossile), avec le plus grand jardin de corail du monde sur l’île de Shusha. En Islande, une société suisse a lancé la première usine de capture directe de carbone dans l’air, alimentée par l’énergie géothermique.

Presqu’aucun de ces très grands projets n’est véritablement international, si ce n’est ITER,  collaboration entre 35 nations, représentant à elles seules 85% du PIB mondial pour créer un réacteur nucléaire de fusion qui surpassera expérimentalement à partir de 2035 les plus grands réacteurs expérimentaux de fusion actuellement en service au Royaume-Uni et au Japon ; le Square Kilometre Array, lancé par l’Agence Spatiale Européenne, qui sera le plus grand radiotélescope au monde capable de détecter des objets distants de près de treize milliards d’années-lumière ; et la Station Spatiale Internationale, réunissant les Etats-Unis, l’Union Européenne, le Japon, la Russie et beaucoup d’autres pays, pour des expérimentations prévues jusqu’en 2030. Enfin, un vaste projet multinational visant (encore très modestement) à se préparer à détourner d’éventuelles météorites capables de frapper la Terre et d’y détruire toute vie humaine.

Rien de tout cela n’est à la hauteur des enjeux qui sont devant nous. L’humanité est confrontée à des menaces climatiques, au manque d’eau potable, à l’artificialisation de la nature ; elle risque d’être dépassée par les potentialités de l’intelligence artificielle et par celle de la génomique. Que fait-on pour y parer ? Rien. L’humanité tout entière ne lance aucun des grands projets dont dépend sa survie.

Au moins trois de ces très grands projets devraient être étudiés sérieusement :

1/ Recouvrir une partie du Sahara de panneaux solaires pour fournir de l’énergie renouvelable à toute l’Afrique ; et s’il en reste, à l’Europe par des câbles sous-marins vers l’Italie et l’Espagne. Et recouvrir une autre partie du Sahara d’une biodiversité aussi naturelle et durable que possible pour y rendre possible une capture massive du carbone et une agriculture régénérative durable.

2/ Organiser un réseau de trains électriques du Pacifique à l’Atlantique, de Seoul au Havre, de Shanghai à Rotterdam, pour transporter les marchandises autrement que par la mer. Encore faudrait-il que les régimes politiques des pays traversés le rendent possible et que l’électricité utilisée ne soit ni produite ni transportée par des énergies fossiles.

3 / Lancer un très grand observatoire lointain pour détecter les diverses formes de vie, qui existent certainement quelque part dans l’univers. Et prendre contact.

Ces projets sont fous. Peut-être totalement infaisables. Et j’en vois très bien les risques et les faiblesses.

Ce n’est pas une raison pour ne pas penser à lancer des projets aussi grands que les menaces qui nous guettent. Pour ne pas penser très grand.

 

j@attali.com

 

Peinture : Edouard Riou, Inauguration du Canal de Suez, 1869