Beaucoup de confusion et de désarroi règnent, partout en Europe, sur les divisions idéologiques entre les différents courants politiques. Cela entraîne un émiettement des partis, une instabilité gouvernementale, et une frustration des peuples qui enragent de plus en plus devant l’impuissance des gouvernants confrontés à des enjeux qui les dépassent.

Il est temps de comprendre que, aujourd’hui, cinq préoccupations principales se partagent les intérêts des électeurs : l’enrichissement économique, le besoin de sécurité, la demande de justice sociale, la défense des libertés, et les enjeux écologiques.

De fait, un peu partout à travers l’Europe, parmi ces enjeux plus ou moins contradictoires, deux se détachent et attirent de plus en plus de gens : l’écologie et la sécurité. Se dessinent ainsi les contours d’une nouvelle idéologie dominante qui, comme toutes celles qui l’ont précédées, peut produire le meilleur et le pire. Une idéologie qui n’est pas encore incarnée, nulle part, par un parti dominant, mais, qui à mon sens, va bientôt rallier de plus en plus de suffrages : l’ordre vert.

Les peurs plus ou moins justifiées face aux diverses formes de criminalité, aux risques de terrorisme, de remise en cause de l’identité, et d’épidémies, entraîneront, si les gouvernants sont raisonnables, la mise en place de beaucoup plus de moyens pour la défense, la justice, la police, les prisons, la prévention en matière de santé ; et des efforts en matière d’éducation et d’urbanisme. De même, les peurs face aux risques climatiques de plus en plus évidents entraîneront un changement radical de conception de l’action publique et privée, une augmentation significative du prix du carbone, une réglementation beaucoup plus rigoureuse en matière de gestion des déchets, d’écoconception, d’économies d’énergie, de développement des énergies positives, c’est-à-dire non émettrices de gaz à effet de serre.

Mais, si on attend trop pour qu’une réponse démocratique soit encore possible, on verra monter, sur ces deux sujets, une toute autre attitude. Beaucoup plus expéditive. Et beaucoup moins démocratique. On voudra alors non seulement mettre de l’ordre contre la criminalité, mais aussi face à des fantasmes de grand remplacement, et à un communautarisme conquérant. On fermera les frontières, on expulsera, on retirera même la nationalité à certains Et on utilisera les moyens de l’ordre pour faire accepter les mesures de protection de l’environnement qui, prises trop tard, seront devenus à la fois écologiquement vitales et socialement intolérables.

Un tel programme, même s’il est conduit démocratiquement, ferait passer à la trappe les trois autres dimensions d’une société harmonieuse : la croissance économique, la justice sociale et la protection des libertés publiques et privées.

Or, ces autres revendications sont aussi de plus en plus criantes, en particulier en France, où le chômage est persistant et où la police, comme la fiscalité, sont de plus en plus sous le feu des critiques.

Verra-t-on alors, face à une coalition défendant l’urgence d’un ordre vert, se former un autre réclamant l’urgence d’une liberté juste ?

Sans doute. Même si les discours ne seront jamais aussi tranchés ; et si chacun prétendra vouloir une société à la fois économiquement efficace, écologiquement durable, socialement juste et protectrice des libertés publiques et privées. En réalité, la priorité qui s’annonce sera bien celle d’un ordre vert. Plus précisément, (et même si l’écologie est, pour l’instant, surtout classée à gauche) la demande d’un ordre vert va devenir le discours dominant des droites et des extrêmes droites européennes. D’autant plus qu’un tel discours leur permettra d’enfouir habilement les enjeux de justice sociale et de libertés publiques.

Il est encore temps de démystifier de telles caricatures. Les nations européennes auront besoin, en particulier face aux menaces pour leurs entreprises venant des Etats-Unis et d’Asie, de ne pas se réduire à un ensemble compartimenté d’Etats autoritaires et écologiques. Il faut y bâtir des projets politiques plus équilibrés, donc plus complexes. Leur théorie et leur pratique restent à construire. Vite.

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