Parmi les acquis de la Résistance, il y avait l’idée que les syndicats devaient être associés d’une façon consultative à la gestion de la fonction publique, et qu’ils devaient assurer la gestion de la sécurité sociale. Ces principes furent peu modifiés depuis lors. Et le paritarisme fait encore largement loi. Au point même que, quand il appartient à l’exécutif et au législatif de prendre une décision dans le domaine du travail, les gouvernements et les Parlements successifs ont pris l’habitude de se contenter de photocopier dans la loi les textes agréés entre patronat et syndicats. C’est ainsi qu’en France a été assurée, pour l’essentiel, la paix sociale.
Aujourd’hui, cette situation n’est plus acceptable. Et la déclaration, dimanche 4 mars dernier, du président du Medef, disant qu’il n’appartenait pas aux syndicats et au patronat de se préoccuper de la formation des chômeurs, est la dernière goutte d’eau qui, pour moi, fait déborder le vase.
De fait, aujourd’hui, il devrait être clair aujourd’hui que les syndicats de salariés et les chefs d’entreprise ne suffisent pas à exprimer l’intérêt général. Par exemple, ils se révèlent incapables de comprendre qu’il est de leur intérêt de financer la formation des chômeurs : les syndicats parce que leurs membres sont sans cesse menacés de chômage ; et les patrons parce qu’ils ont besoin de pouvoir recruter des collaborateurs compétents. Aussi, dans le débat actuel sur l’avenir de la formation professionnelle et de la formation permanente, le gouvernement et le parlement ne doivent pas se laisser intimider par des acteurs sociaux certes respectables, essentiels dans le jeu démocratique, mais pas du tout uniques. Non seulement manquent les chômeurs, mais aussi les étudiants, qui sont les futurs employés et entrepreneurs ; et aussi les consommateurs, les retraités, les habitants des territoires, et plus encore les générations futures.
Aussi convient-il au Parlement de prendre enfin à bras le corps le débat sur la formation professionnelle, sans s’en tenir à l’accord des partenaires sociaux, et de financer enfin décemment les chômeurs, dont dépend l’avenir de la cohésion sociale. Puis, plus largement, il lui appartient d’affirmer que les sujets d’intérêt généraux n’ont plus à être négociés entre quelques-unes des parties prenantes. Enfin, il conviendra de modifier la définition de l’entreprise dans le Code Civil, pour qu’elle ne se résume plus au seul intérêt des actionnaires et qu’elle ne devienne pas le lieu d’affrontement de seulement deux des parties prenantes, le capital et le travail.
Ce sont des décisions très difficiles à prendre. Et on peut imaginer qu’un gouvernement habile céderait sur ce point en échange de la paix sociale sur d’autres points, pour faire passer d’autres réformes. Ce serait un choix illusoire. On croirait éviter la grève en échange d’une humiliation et on aurait à la fois l’humiliation et la grève, pour paraphraser une célèbre phrase de Winston Churchill, dans des circonstances autrement plus tragiques.
Là, comme alors, il faut avoir le courage d’affronter un choix difficile et de le dire à l’opinion, aux citoyens, qui, en toute logique, ne devraient pas accepter de se laisser voler, par des organisations aussi respectables soit elles, mais qui ne sont en rien en charge de l’intérêt général, le soin de décider de leur avenir
La pédagogie, une fois de plus, est l’arme la plus puissance au service de la vérité et de la raison.

J@attali.com