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Dans toutes les langues, les mots sont vivants ; ils évoluent sans cesse ; ils changent d’orthographe ;  ils  changent de  sens ;  leurs concepts s’affadissent ; leurs idées sont détournées, et parfois enrichis ; Cette évolution n’est jamais innocente et elle dit beaucoup sur l’évolution de ces sociétés. Aussi, suivre la généalogie des mots est une science fort utile pour comprendre les civilisations.

Ainsi d’un mot  très important, dans toutes les langues : «  respect ». Il vient du latin respicere  (« regarder en arrière »), renvoyant  initialement à l’idée de tenir une promesse, d’appliquer un  contrat, de suivre les règles d’un jeu. Il désigne le sentiment qui porte à accorder à autrui de la considération pour la valeur qu’on lui reconnaît en raison de ses qualités personnelles ou de son statut social, (qui sont deux formes de respect que Blaise Pascal distinguait en les nommant  très joliment les « respects naturels » et les « respects d’établissement »). Plus généralement, le mot « respect »  en est venu à designer aussi  la civilité, la politesse, la courtoisie. De nouvelles significations sont  apparues, en fonction de l’évolution des sociétés. On parle ainsi du respect dû aux femmes. Et à tous ceux que des sociétés patriarcales ont jusqu’ici opprimés.  Et plus largement encore des droits humains ou des droits des animaux.

Cette signification première est  aujourd’hui oubliée de beaucoup,  qui vivent  dans l’instant,  et négligent ce qui, comme le respect, renvoie à la durée, dans le passé comme dans l’avenir.

Dans des sociétés de plus en plus narcissiques, désigne-t-il  aussi désormais la protection de certains droits plus personnels : ainsi  parle-t-on du respect de la vie privée, désignant ainsi le respect de soi qu’on exige des autres.

On l’utilise aussi dans une signification plus immédiate encore. Ainsi, les  jeunes des quartiers, qui font si souvent , et si bien,  évoluer la langue française,  l’utilisaient-ils   comme une exclamation signifiant  un compliment, ou une  admiration.

Mais on oublie trop souvent que quiconque ne se respecte pas lui-même ne peut pas respecter les autres.  De fait,   tout  commence par le respect de soi.  Le respect physique d’abord : la propreté, l’apparence, la forme physique, la santé.  Faire de la gymnastique, manger sainement, s’habiller correctement ; et, plus généralement, le développement de ses propres compétences, la recherche de son propre dépassement, le meilleur usage de son temps, le refus de se mentir à soi-même, sont des marques essentielles de respect à son propre égard. Or, trop de gens n’ont ni les moyens, ni l’envie, de se respecter, de se porter plus loin, de faire le meilleur usage du seul  trésor qui soit vraiment  entre leurs mains, c’est-à-dire de  leur vie. Ils se laissent aller, résignés,    accusant parfois les autres de leurs propres faiblesses, allant parfois jusqu’à la haine de soi.  Parfois, ils n’ont vraiment pas les moyens de faire mieux et c’est à la société de leur en fournir les moyens. Parfois, c’est par pure négligence personnelle.

C’est aussi vrai pour une famille, une entreprise, une ville, un Etat : Une organisation qui ne se respecte pas est condamnée à mort. Une famille qui ne se respecte pas, qui ne vit pas dans la propreté et l’exigence, selon ses moyens, est condamnée à exploser Dans le cas d’une entreprise, quelques détails peuvent être tragiquement  révélateurs. (Je me souviens d’un ami, chef d’entreprise de génie, Antoine Riboud, qui me disait ne jamais finaliser l’achat d’une entreprise sans aller en visiter les toilettes, pour voir si elles étaient bien tenues !)

De plus,  le respect de soi par une famille, une entreprise, une ville, une nation, ne se réduit pas à ce que peut décider ceux qui la dirigent. Il  dépend de ce que chaque membre de cette entité fait pour la respecter. Dans le cas de l’école,  un respect réciproque  des élèves et des enseignants est nécessaire. Dans le cas d’une ville, par exemple, la propreté  ne dépend pas seulement de ce que font les services de voirie municipale, mais aussi ce que chacun fait pour ne pas jeter au hasard  les emballages de ce qu’il consomme, de  vieux meubles ou autres objets  ; et même pour  ramasser  ce qu’il trouve,  s’organiser en associations de quartiers pour le faire et signaler ces dérives aux services compétents.

En ces temps préélectoraux, il ne faudra pas oublier que sans respect de soi même, sans  respect des droits des autres, aucune vie en société n’est possible. Et que le bien être d’un pays commence par le respect de chacun de ses habitants pour eux-mêmes, pour leurs enfants, (dont l’avenir exige qu’on protège  le monde dans lequel ils vivront), pour tous les autres, quelques soient leurs origines, leurs genres  et leurs conditions sociales, pour leurs villes, pour leur environnement, pour leurs paysages, pour leur patrimoine culturel.

j@attali.com