De tout temps, les humains ont voulu prévoir l’avenir. Pour prévoir les saisons pour voyager, les moments propices pour planter, pour avoir des enfants, pour faire la guerre ; ils ont voulu connaitre la date de leur mort, l’évolution de leurs projets, le sort de leurs entreprises ou de leurs nations.  Pour cela, ils ont utilisé les services de devins, qui utilisaient des techniques très diverses, des entrailles des animaux au marc de café, de la chute des feuilles au délire extatique d’un oracle sous influence d’une drogue. Puis, sont apparues des méthodes plus rationnelles pour prévoir le climat ou d’autres dimensions de l’avenir.

Aujourd’hui, un certain nombre de dimensions de l’avenir de la planète et de l’humanité sont plus facilement prédictibles que d’autres.

En supposant qu’aucune action de grande ampleur ne soit entreprise, on peut de façon à peu près certaine savoir comment va évoluer d’ici à 2050 la population de la planète et ce que sera le climat et l’état de la nature à ce moment. On sait de façon moins certaine quelles seront les avancées technologiques. De façon moins certaine encore ce que seront les mutations du système de santé, de l’éducation, de l’agriculture, de l’alimentation, de l’accès à l’eau, de l’organisation du travail, des rapports de pouvoir géopolitiques des conflits à craindre, des migrations humaines, des évolutions des idéologies politiques et des valeurs religieuses. Ce sont des sujets sur lesquels je travaille, avec beaucoup d’autres, depuis des décennies et je peux résumer ici sommairement mes conclusions :

Le climat : dans trente ans, en raison de la chaleur devenue insupportable, il sera très difficile de vivre au sud de l’Asie, en Iran, au Koweït, en Somalie, à Oman, en Egypte, en Ethiopie, et dans les pays voisins. Le Brésil et le Mexique seront aussi presque invivables.  Il sera tout aussi difficile, en raison des inondations, de vivre au Pakistan, au Bengladesh, au Royaume Uni, aux Pays Bas.

La démographie : Le nombre d’habitants sur la Terre devrait passer de 7,7 milliards aujourd’hui à 9,7 milliards en 2050. La moitié des 2 milliards de personnes supplémentaires viendra de neuf pays : l’Inde, le Nigéria, le Pakistan, la République démocratique du Congo, l’Éthiopie, la Tanzanie, l’Indonésie, l’Égypte et les États-Unis.   La population d’Afrique subsaharienne devrait doubler d’ici 2050. Le taux de fécondité mondial, qui est passé de 3,2 naissances par femme en 1990 à 2,5 en 2019, devrait encore reculer à 2,2 en 2050. La population mondiale vieillira en raison d’une espérance de vie croissante et de la baisse des taux de fécondité. Une personne sur six dans le monde aura plus de 65 ans ; le nombre de personnes âgées de 80 ans et plus devrait tripler, passant de 143 millions en 2019 à 426 millions en 2050.   Plus de la moitié de la population africaine en 2050 aura moins de 25 ans.  La population de la Chine aura diminué de 100 millions et celle du Japon sera redescendue autour de 100 millions (avec 37% de plus de 65 ans) et entamera une descente vertigineuse vers les 60 millions en 2100. Cet effondrement démographique touchera aussi la Corée, l’Italie, l’Espagne, l’Allemagne, la Russie et quelques pays. A cette date, il y aura plus d’habitants au Nigéria qu’aux Etats Unis, en Turquie qu’en Allemagne.

Les technologies : de grands progrès sont à attendre dans le numérique, et qui bouleverseront tous les métiers.  On peut s’attendre aussi à de très grands progrès dans la production d’hydrogène vert, la fission nucléaire, le calcul quantique, le recyclage des déchets, la réduction de l’émission de gaz à effet de serre, les neurosciences, les nanotechnologies, le biomimétisme.

La santé :  on aura beaucoup développé les prothèses, et sans doute trouvé des remèdes à un très grand nombre de maladies de longue durée d’aujourd’hui ; en particulier par des solutions utilisant l’ARN messager.  L’espérance de vie moyenne dépassera le siècle, en tout cas pour ceux qui pourront encore vivre dans un environnement sain, avec un climat tempéré, avec une nourriture adaptée et une activité physique importante.  Pour les autres, on peut s’attendre, comme aux Etats-Unis aujourd’hui, à une poursuite de la diminution de l’espérance de vie.

L’éducation : les progrès dans le numérique rendront inutiles d’apprendre à lire, à écrire, à compter, à programmer ; on pourra apprendre de façon solitaire, comme on joue, avec des techniques largement inspirées par les progrès à venir des neurosciences. On devrait assister à un effondrement des systèmes scolaires traditionnels, en particulier en Afrique et dans le sous-continent indien, au développement des systèmes privés d’éducation, pour les plus riches, et à un développement massif des méthodes d’enseignement numérique, d’abord par internet, puis en utilisant les hologrammes, le Métaverse, puis les prothèses, sans plus passer par l’école ou l’université.

La géopolitique et la guerre : tout cela se situera dans un contexte d’aggravation profonde des inégalités entre nations et entre groupes sociaux, et dans un accès très différencié aux ressources vitales, en particulier à l’eau. Cela devrait se traduire, au cours des trente prochaines années, par la multiplication de conflits locaux, comme en Ukraine. En particulier, on peut s’attendre à un conflit à Taiwan, et à des actes désespérés de dictateurs pour survire, en Iran et en Corée du Nord. La Chine ne réussira pas à prendre la direction du monde, et sera très occupée par les problèmes internes qui devraient affaiblir le parti communiste, qui se lancera dans des aventures militaires.

A l’échelle de la planète, il est très difficile d’imaginer une action globale qui modifierait ce cours des choses. Il n’y a pas de gouvernement mondial, ni de consensus sur ce qu’il convient de faire.  Et pourtant, chacun comprend que de plus en plus de problèmes sanitaires, écologiques, politiques, n’ont de solution que planétaires. On sait par exemple que toutes les difficultés qui précèdent peuvent être résolues par une réorientation massive de la société mondiale vers une « société positive »,  c’est-à-dire une société démocratique gouvernée par l’intérêt des générations futures et par une économie sortant  des secteurs de la mort ( énergies fossiles, sucres artificiels, alcools, drogues) et basculant vers les secteurs de l’économie de la vie ( santé, éducation, alimentation et agriculture saine, hygiène, numérique, hospitalité, sécurité, finance durable, logistique, mobilité durable, logement durable, culture).

Il est plus facile de se fixer ces objectifs à l’échelle d’une nation, d’une entreprise, ou d’un individu qu’à l’échelle mondiale : ironiquement, il est d’autant plus facile de fixer des objectifs pour une entité qu’elle est petite, et que son avenir dépend de plus de facteurs externes.

Et pourtant, il faut le faire : si les plus grandes nations du monde, si les entreprises les plus emblématiques, si chacun de nous, se donnaient l’économie de la vie comme boussole, on pourrait tirer le meilleur des formidables trente années à venir.

j@attali.com

Image : Pythie. « L’oracle de Delphes », gravure sur bois, coloriée, d’après un dessin de Heinrich Leutemann (1824–1904).