Tant à l’échelle mondiale que française, la nouvelle année est plus difficile que jamais à prévoir. On pourrait aisément se contenter de prévoir le pire : fin 2021, nous n’étions pas nombreux à penser que l’attaque russe sur l’Ukraine aurait lieu, que la Chine se noierait dans une épidémie de Covid ; pas nombreux non plus à annoncer une inflation majeure (j’avais prévu 10%). Mais non plus nombreux à penser que la réélection du président français serait très difficile et qu’il n’aurait pas la majorité au Parlement. Pas nombreux à craindre une évolution allemande désordonnée, ayant perdu l’énergie bon marché russe et les consommateurs chinois, se retournant brusquement vers une illusoire alliance américaine, qui, plus que jamais, ne s’intéresse qu’à elle-même, sauf quand il s’agit d’en finir avec la Russie, qui reste encore l’obsession des stratèges américains. Pas nombreux non plus à ne rien attendre de conférences internationales affreusement coûteuses et sans impact, sinon médiatique, qu’il s’agisse des COP, ou des G7, G20, et quelques autres. Le plus lucide, dans cet aveuglement général, fut le secrétaire général de l’ONU, qu’on écoute de moins en moins parce que, par sa franchise, il embarrasse les puissants.

Pour 2023, au risque de surprendre mes lecteurs, habitués à me voir les mettre en garde contre les catastrophes possibles, mon intuition est que tout peut aller beaucoup mieux.

On ne peut pas exclure une victoire ukrainienne sur l’armée russe, une démission du tyran de Moscou, une réduction massive de l’inflation (surtout due à des goulets d’étranglement, qui commencent à s’estomper). On peut aussi espérer que le magnifique combat des femmes en Iran, en Afghanistan, et dans bien d’autres pays, portera ses fruits et nous débarrassera de ces régimes abominables. On ne peut pas ne pas exclure une prise de conscience allemande qu’ils n’ont pas plus à attendre des suzerains américains que des fournisseurs russes et des clients chinois ; et qu’ils en viennent à proposer un grand plan de reconstruction de l’Europe de l’Est et de l’Ukraine, par les Européens, qui pourrait s’étendre à la Russie lorsqu’elle sera devenue une démocratie. Plan que les Français et les autres Européens pourraient approuver et en faire un chemin de croissance pour leurs propres entreprises. On ne peut pas exclure une prise de conscience de l’efficacité d’une sobriété énergétique durable en Europe et de la place nécessaire qu’y occuperont les énergies renouvelables, et nucléaires. On ne peut pas exclure une accélération massive de la transformation des grandes entreprises pétrolières en fournisseurs d’énergies renouvelables. On peut espérer que les prochaines élections présidentielles au Nigéria se passeront bien, installant le plus grand pays d’Afrique dans une trajectoire durablement démocratique. On ne peut pas non plus exclure que le prochain sommet du G20, en Inde, et la prochaine COP à Dubaï soient l’occasion d’une vraie prise de conscience des enjeux de la transformation écologique, et qu’ils soient l’occasion, pour les pays du sud, d’annoncer qu’ils ne referont pas les mêmes erreurs que les pays occidentaux et qu’ils passeront directement du charbon au solaire, sans passer par le pétrole

De même, on peut s’attendre à de formidables progrès médicaux, déjà prévisibles à partir des premiers résultats de la fin de l’année 2022 : des vaccins contre les cancers, des médicaments contre Alzheimer, et bien d’autres choses apparemment stupéfiantes, et pourtant désormais à portée ; en particulier dans le digital, dont la mise en service d’une nouvelle version de ChatGPT n’est qu’un tout petit commencement.

Bien sûr, on ne peut exclure le pire : l’effondrement de l’armée ukrainienne, un dérapage inflationniste majeure, une paralysie de la France au moment de l’annonce d’une réforme très impopulaire des régimes de retraites (ou d’un effondrement de notre système de santé, ou de notre système scolaire, l’un et l’autre si malmenés), une offensive de la Chine sur Taiwan, pour détourner l’attention des ravages de la pandémie du Covid, une attaque préventive israélienne sur l’Iran, si ce pays s’approche trop de l’arme nucléaire, un missile nucléaire nord-coréen sur le Japon, un chaos au Nigéria et en RDC, si les élections, qui doivent y avoir lieu, ne sont pas transparentes et acceptées par tous.

Rarement, les choses ont été plus entre les mains des femmes et des hommes. Tout peut aller beaucoup mieux, si nous le voulons, à tous niveaux ; comme citoyen, comme consommateur, comme producteur, comme épargnant.  Personne ne doit penser qu’il n’est qu’un spectateur de l’histoire.

j@attali.com

Peinture : Amandier en fleurs, Vincent Van Gogh (1890)