La commémoration de la chute du Mur de Berlin le 9 novembre 1989 est importante non par l’événement, (qui n’en a eu aucune, en réalité), mais par ce qu’elle dit sur le rapport de l’humanité à l’idée de mur.

Le mur de Berlin était en fait déjà tombé depuis le mois d’août 1989, quand les Allemands de l’Est ont pu passer à l’Ouest par la frontière austro-hongroise; et même depuis bien avant quand il fut évident que les Soviétiques ne tireraient plus sur les foules. Et cela fut clair dès 1987: à partir de ce moment, il était évident que les manifestations allaient faire tomber le régime. Il fallut deux ans aux peuples de l’Est pour le comprendre.

Et c’est d’autant plus important à comprendre que, à la même époque, les Chinois ont, eux, choisi une autre stratégie, et ont tiré sur la foule sans qu’aucune troupe occidentale, évidemment, ne soit  intervenue. De même, aucune troupe occidentale ne serait venue défendre les Polonais si Moscou avait décidé d’en finir par la force avec Solidarnosc. Et si Grégory Romanov avait été élu secrétaire général du parti communiste à la place de Mikhail Gorbatchev, à la mort de Tchernenko, l’Union soviétique existerait sans doute encore.

Si on en parle tant de la chute du mur, si on s’apprête à en faire un événement considérable, c’est d’abord parce que les Allemands, après deux défaites dans deux guerres mondiales, sont heureux de s’inventer une victoire, même pacifique, même imaginaire.

Et plus encore, c’est parce que la chute d’un mur est de tous les temps l’occasion d’un message symbolique très fort: le mur est ce qui sépare; le faire tomber est un signe de libération. Parce que la première des libertés est celle de se déplacer, ce que le mur interdit. Ainsi des murailles de Jéricho.  Ainsi de celles de Troie. Ainsi de celles de la Bastille. Ainsi de celles du ghetto.

Ainsi aussi des murs invisibles, qui séparent les communautés, et interdisent l’ascension sociale, ou organise le racisme. Murs invisibles, plus difficiles à faire tomber que les  murs de pierre. Ainsi du mur Nord/Sud, qui a remplacé le Mur Est/Ouest et qui verrouille l’accès des pays riches aux travailleurs venus des pays les plus pauvres. Sédentaires contre nomades.

Mais, si, dans tous les cas, le mur exclut celui qui est dehors, dans certains cas, il protège celui qui est dedans contre le mal, venu d’ailleurs. Ainsi justement du ghetto, qui fut longtemps souhaité par les communautés juives d’Europe, qui y trouvaient une protection contre l’agression externe. Ainsi de la grande Muraille de Chine, dont l’histoire, racontée par les Chinois, est celle d’une protection contre les ennemis de l’extérieur. Et du Mur construit à travers les territoires, qui protège les Israéliens et enferme les Palestiniens. Ainsi des murs de nos prisons. Ainsi même des murs de nos maisons, que nul ne voudrait voir détruit. Ainsi aussi des murs qui protègent nos vies privées et  que  tente de remettre en cause la transparence, imposée par l’ordre social et  par les nouvelles technologies.

Le mur renvoie donc à l’idée du bien et du mal. Et, avant de les abattre, ou de les ériger, il faut être capable de distinguer l’un de l’autre. C’est même le propre d’une civilisation que d’être capable de distinction.