Malgré les cris de triomphe qu’aura provoqués la publication de sa déclaration finale, la COP 28, qui vient de s’achever, n’aura rien décidé de sérieux. Les 200 délégations, réunies autour de 100 000 participants, n’auront réussi à s’entendre que : 1/ Sur la création d’un petit fonds pour compenser une toute petite partie des dommages bientôt causés par les désastres climatiques ; 2/ Sur le déploiement, déjà décidé par ailleurs, et encore très insuffisant, d’énergies renouvelables ; 3/ Sur la mention timide de l’énergie nucléaire comme une partie des solutions ; et, 4/ Sur la nécessité théorique de se diriger vers l’élimination progressive de l’usage des énergies fossiles. On considère ainsi comme un grand triomphe une prise de conscience qui aurait dû avoir lieu il y a 40 ans au moins.

Par contre, cette COP n’aura pas décidé (ce qui aurait été la moindre des choses en l’état actuel du monde) d’interdire définitivement, et au plus vite, l’usage du charbon, qui brûle plus que jamais en Chine, en Pologne, en Inde, et dans tant d’autres pays ; de commencer concrètement à réduire l’usage du gaz et du pétrole, au moins en interdisant immédiatement les nouveaux forages lorsqu’ils détruisent la biodiversité ; ni de favoriser massivement les économies d’énergies, si simples et si efficaces. Rien n’a été décidé non plus pour réduire les émissions de gaz à effet de serre dont sont responsables les bovidés, et en particulier le méthane, pire source de pollution de notre atmosphère. Rien n’a été dit aussi de la façon de financer les énormes dépenses qu’entraînera cette transition énergétique, en particulier dans les pays en développement. Enfin, rien n’a été dit de l’urgence de mettre en place des mécanismes de valorisation du carbone, à un prix crédible, d’au moins 150 dollars la tonne, ni des mécanismes de capture du carbone et de protection de la biodiversité. Car ce qui dérègle le climat, ce n’est pas seulement le flux de gaz à effet de serre émis tous les jours, mais aussi le stock accumulé, qui ne peut être détruit que par la capture du carbone par les océans et les forêts, et par un usage positif du carbone, par exemple en matière thérapeutique.

A ce rythme-là, les engagements de l’accord de Paris de 2015 (contenir la hausse moyenne de la température mondiale en 2100 à moins de 1,5 degrés par rapport au début de l’ère industrielle) ne seront pas tenus : on restera sur la pente d’une augmentation cataclysmique d’au moins 4 degrés ; et, l’humanité se prépare à vivre des désastres plus grands encore que ceux d’aujourd’hui. Des pays vont disparaître, et pas seulement des petites îles du Pacifique ; des régions entières deviendront définitivement inhabitables, et pas seulement les régions côtières du Pakistan et du Bangladesh ; des ouragans monstrueux ravageront des mégalopoles, comme Kuala Lumpur, Tokyo, Shanghai ou Singapour ; des glaciers fondront ; des plaines gelées ne le seront plus, libérant des puits de méthane particulièrement toxiques.

De plus, ces évènements n’étant plus probables mais certains, leurs dommages ne pourront plus être couverts par une assurance, qui suppose la mutualisation de risques à l’occurrence incertaine. Chacun devra en porter le poids, personnellement ou par l’impôt. Avec des coûts se chiffrant en milliers de milliards.

Le cœur de la bataille d’aujourd’hui devrait être de comprendre que les menaces évoluent à une vitesse exponentielle, alors que les solutions ne sont apportées qu’à une vitesse constante. Plus généralement, l’action, positive et négative, de milliards de gens bouleverse la planète à une vitesse croissant exponentiellement alors que les institutions qui sont supposées les encadrer n’évoluent qu’à une vitesse constante. Et ces institutions ne font rien pour préparer les gens qui dépendent d’eux à l’ampleur des changements qui seraient nécessaires pour tirer le meilleur de ces bouleversements, ni pour compenser les dommages de ceux qui vont y perdre.

Cela ressemble à ce qui s’est passé entre 1908 et 1913 : tout était en place pour un 20ème siècle très heureux ; mais la mauvaise gestion de l’accélération exponentielle du progrès technique et des mutations idéologiques a conduit à une crispation nostalgique sur des valeurs et des rapports de force dépassés. On connaît la suite : 4 décennies de barbarie. Parfaitement évitables, si on avait su s’y préparer…

Et aujourd’hui ?

j@attali.com

Image : sommet de la COP 28 à Dubaï, le 13 décembre 2023, Hannes P Albert/DPA.