La France est, en ce début de décennie, largement considérée comme une grande puissance militaire. Elle en est toujours une, à maints égards : au-delà de sa force nucléaire et de son statut de membre permanent au Conseil de sécurité de l’ONU, elle dispose de la deuxième zone maritime au monde et d’une capacité de projection militaire mondiale.

Toutefois, la politique menée par la France en matière de défense doit être définie aujourd’hui dans un monde de plus en plus incertain : déjà engagée dans plus de vingt-cinq théâtres d’opérations, la France devra assurer la protection de ses intérêts vitaux et du niveau de vie de ses habitants face aux nouvelles crises politiques et militaires, économiques et financières, sociales et écologiques qui ne manqueront pas de surgir. Les menaces sont en effet multiples et protéiformes : les groupes non étatiques disposent de moyens et d’une influence toujours plus grands, la prolifération des armes de destruction massive mais aussi des armes conventionnelles, se poursuit et les nations pourraient, quant à elles, s’affronter pour des enjeux stratégiques plus traditionnels : le contrôle des routes maritimes en Asie, celui de l’eau au Moyen-Orient et celui, plus généralement, des matières premières et des produits de la pêche qui vont continuer de se raréfier.

Le nouveau président de la République pourrait donc devoir faire face à de nouveaux conflits ou à des attentats contre des intérêts français, sur notre sol ou à l’étranger, entre autres événements encore imprévisibles à ce jour.

Or, les ressources dont disposent les États, et en particulier les démocraties pour anticiper et affronter l’ensemble de ces difficultés, s’amoindrissent continûment. Leurs pouvoirs se trouvent réduits par la mondialisation des marchés, qui ne s’est pas accompagnée d’une globalisation de l’État de droit. Leurs moyens sont de plus en plus faibles, la politique de défense et de sécurité ne faisant pas exception aux pressions exercées sur les dépenses par le cadre budgétaire de plus en plus contraint. Ainsi, les forces armées françaises, qui ont déjà vu leurs effectifs diminuer de plus de 25 000 postes en deux ans, ne compteront plus que 225 000 hommes et femmes à l’horizon 2014.

Le prochain président de la République, chef des armées, n’en exercera pas moins une influence déterminante sur l’avenir du pays et sur sa sécurité. Il sera tou- jours l’incarnation de la France, pour laquelle il devra exprimer une vision et il lui reviendra de maintenir son rang et de gérer les crises internationales. Simplement, les moyens dont il disposera pour ce faire auront largement changé : il devra veiller plus que jamais à la place de la France dans le jeu des alliances et à sa dotation en technologies de pointe.

Certes, la France est toujours, avec les États-Unis, le Royaume-Uni, la Russie et la Chine, l’une des seules puissances qui maîtrise l’ensemble des techno- logies de fabrication des armes nucléaires et des missiles à très longue portée. Les dépenses militaires de la France, qui représentent près de 2,5 % de la richesse nationale, continuent de la placer au troisième rang mondial.

Elle devra, toutefois, prendre plusieurs décisions clés afin de ne pas se laisser distancer. Au premier rang de ces choix lourds d’enjeux pour l’avenir de la sécurité du pays figurent le renouvellement de la composante sous-marine de la dissuasion nucléaire et le développement des drones, indispensables à la frappe précise et discrète. Plus largement, la question du remplacement de certains matériels vétustes ne pourra être résolue sans qu’une décision majeure soit prise en matière de politique industrielle : la priorité doit-elle toujours être donnée à l’industrie nationale ou la France peut-elle, en matière d’armement, recourir à des fournisseurs étrangers ? Le récent débat autour de l’achat de drones MALE (moyenne altitude, longue endurance) illustre bien la difficulté de ce choix.

Le retour dans le commandement intégré de l’Otan a été une décision très importante, qui a pourtant été peu débattue lors de la précédente campagne présidentielle. Elle aurait pu et dû l’être. La pleine appartenance à l’Otan, et plus généralement la coopération renforcée avec les États-Unis, restent en effet indispensables mais se juxtaposent à la coopération européenne et aux partenariats bilatéraux. Cette position était celle du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008.

Deux questions demeurent donc, avec en premier lieu celle de la coopération bilatérale ou multilatérale des États européens. La France a déjà lancé un partenariat d’envergure avec le Royaume-Uni, en créant une force expéditionnaire conjointe, en mutualisant des moyens ou en développant des drones. À partir de 2014, des simulations de mutualisation d’arsenaux nucléaires seront conduites et le débat autour d’un porte-aéronefs commun est toujours vivace. La France possède aussi une brigade et des formations militaires communes avec l’Allemagne. Ces deux États sont nos partenaires bilatéraux principaux en Europe.

En second lieu, quelle coopération faut-il mettre en place au niveau de l’Union européenne ? Alors que le besoin existe, le Traité de Lisbonne n’offre pas encore un cadre idéal pour la délégation de souveraineté dans le domaine sensible de la défense, notamment par le maintien de la règle du vote à l’unanimité. Par ailleurs, sur les points les plus cruciaux du développement des forces armées, l’Union reste trop peu intégrée. Elle n’a pas encore développé le potentiel de l’Agence européenne de défense. Elle ne dispose pas encore de force d’action rapide commune. Elle n’a pas de flotte commune en Méditerranée, ni d’équivalent naval à EADS. Autant de structures qu’il faudrait mettre en place pour affermir la puissance européenne et donc la puissance française.

Personne n’envisage plus notre armée coupée de l’Europe, du monde ou de la société. Par l’innovation technique, stratégique et par des coopérations nouvelles, elle pourra mener à bien ses missions dans un contexte budgétaire contraint et s’adapter aux mutations des enjeux de sécurité internationaux. Il appartiendra au prochain président de la République de tracer les lignes de la politique de puissance de la France, entre autonomie préservée et alliances renforcées.