Au milieu d’innombrables signes de désarticulation de la coopération internationale, et de résurgence froide et fière de l’égoïsme, en particulier à l’égard des générations futures, on ne peut que se réjouir de l’initiative prise par la France pour trouver une solution à la tragédie de ces migrants qui, en prenant tous les risques, traversent l’Afrique, souffrent le martyre en Libye et sont sauvés de la noyade en Méditerranée par des ONG qui, jusqu’à présent, sont les seules à sauver l’honneur de l’Europe.

L’accord qu’on annonce est encore fragile. Sur les 28 pays de l’Union Européenne, seuls la France l’Allemagne, le Portugal, la Finlande, le Luxembourg, la Croatie et l’Irlande ont annoncé leur accord. 7 autres pays européens se prépareraient à les rejoindre. L’Italie, première concernée, est vent debout contre cet accord, d’autant plus qu’il apparaît comme une initiative franco-allemande, ce qui irrite toujours les Italiens.

Cet accord est pourtant plus que bienvenu ; on ne peut laisser mourir ceux qui tentent, à leurs risques et périls, de fuir un enfer. Et les laisser mourir ne dissuadera aucun de ceux qui sont certains de mourir s’ils ne migrent pas.

D’abord parce que cette obligation de les accueillir, quand ils viennent de territoires en guerre, est inscrite dans tous les textes internationaux qui nous lient. Ensuite parce que l’expérience démontre, tragiquement, que bien les accueillir n’augmente pas le nombre de ceux qui prennent ces terribles risques. Enfin parce que l’Europe aurait tout à gagner à ne pas se voiler la face devant l’ampleur du problème qui vient.

Comme pour la question du climat, et en liaison avec elle, on sait qu’en 2050 la situation peut être terrifiante en Afrique, pour au moins le tiers de la population de ce continent, qui sera alors supérieure à 2,2 milliards. Ces 700 millions de personnes n’auront que le choix, si on ne fait rien, de monter vers le Nord, ou de descendre vers le Sud. Il est clair que la Libye, la Tunisie, le Maroc, la Mauritanie, le Sénégal, la Guinée, la Cote d’ivoire, le Kenya, auront à supporter de telles migrations.

Ces gens ne quitteront pas leurs pays par plaisir. Mais parce qu’eux, leurs dirigeants, et nous, n’auront rien fait d’ici là pour empêcher que leurs pays soient invivables. Personne, ou presque, ne quitte sa terre natale de gaité de cœur. On ne le fait que parce qu’on ne peut faire autrement, pour survivre, ou pour assurer un avenir à ses enfants.

Et ce n’est pas en rendant leur voyage infernal, ou en refusant de les accueillir, qu’on ralentira ce mouvement. Quand on est prêt à mourir pour avoir une chance de survivre, ce n’est pas la qualité de l’accueil qui peut vous attirer ou vous dissuader.

Si nous ne voulons pas avoir, dans trente ans, à affronter l’arrivée au bord de la Méditerranée de plusieurs dizaines de millions, au moins, de gens venus de l’Afrique sub-saharienne, on sait très bien, depuis longtemps, ce qu’il y a à faire : lutter contre le réchauffement climatique, à l’échelle mondiale et dans ces pays. Y développer une agriculture vivrière saine et rentable, en cessant de leur envoyer les sous-produits de notre propre alimentation. Y former les jeunes, et en particulier les filles, à des métiers utiles. Encourager la formation d’une classe entrepreneuriale, qui créera des emplois pour les centaines de millions de jeunes qui vont arriver sur le marché du travail. Aider ces pays à mettre en place des systèmes de santé, de retraite, et de protection sociale, qui les inciteront à réduire massivement leur natalité. On sait aussi que, faire cela, pour l’Europe est non seulement une façon de se protéger contre de grands désordres, mais aussi de créer des partenaires économiques et politiques stables et utiles à notre propre développement.

Tout cela, on le sait, depuis longtemps. On le répète à l’infini. Certains s’en occupent, d’une façon encore trop marginale.

C’est peut-être une occasion de le crier à ceux qui, bronzant sur les plages méditerranéennes, refusent de regarder plus loin que l’horizon.

j@attali.com